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MAURICE DE TREUIL.

La famille Sorbier attendait M. Closeau du Tailli ; mais on fît semblant d’être surpris à la vue du jeune homme qui l’accompagnait.

— Mon ami, M. Maurice de Treuil, dit M. Closeau du Tailli ; je l’ai rencontré par hasard comme il croquait un coin de ferme dans le village. Il croyait dîner au cabaret ;… j’ai pris la liberté de l’amener avec moi.

— Vos amis sont les nôtres, mon cher cousin, répondit Mme Sorbier en jetant sur Maurice un regard vif qu’accompagnait un sourire poli. Vous nous aviez souvent parlé de M. Maurice de Treuil ; nous sommes charmés de faire sa connaissance.

Maurice s’inclina ; il cherchait la fille et ne voyait que la mère.

— Monsieur nous excusera de le recevoir sans façon, poursuivit Mme Sorbier ; nous ne serions qu’en famille, si quelques amis de Paris n’étaient venus nous surprendre à l’improviste, M. le baron de Courtalin entre autres, et M. Guillaume Giraud, que monsieur de Treuil connaît peut-être.

— Non, madame, répondit Maurice.

— Ce sont des hommes du monde, reprit Mme Sorbier avec une nuance d’impertinence qui n’échappa pas à Maurice.

— Hum ! murmura-t-il, du miel à la surface et du vinaigre au fond ! La belle-mère se dessine.

— Et Sophie ? demanda M. Closeau du Tailli ; je ne vois pas cette chère enfant ; où est-elle donc ?

— Dans le jardin ou dans le bois… Elle fait des bouquets ; elle est avec Laure…

— Avec Laure ? Ah ! tant mieux ! s’écria Maurice étourdiment.

Mme Sorbier sourit à demi.

— Monsieur de Treuil connaît Mlle Émery ? dit-elle.

— Oui, madame ; la famille de Mlle Émery était fort liée avec la mienne il y a quelques années.

— J’étais en relations d’affaires avec M. Émery avant le désastre qui a tout à coup emporté sa fortune, dit alors M. Sorbier, qui ne s’était pas encore mêlé à la conversation. M. Émery était fort riche, mais un peu entreprenant… Il a voulu courir trop vite et a laissé sa famille sans un sou.

Mlle Laure donne des leçons de piano à ma fille, ajouta Mme Sorbier. Nous n’avons pas voulu abandonner cette pauvre enfant après le malheur de son père ; nous la recommandons à tous nos amis. Elle vient ici quand elle veut… Sophie la regarde comme sa sœur, et, bien qu’aussi forte qu’elle sur le piano, elle continue à réclamer ses soins pour lui venir en aide sans en avoir l’air.

L’expression de cette fausse bonté prétentieuse et maniérée déplut à Maurice ; il détourna la conversation, et s’extasia sur la ma-