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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/360

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REVUE DES DEUX MONDES.

férens et se restreindre au genre de vie qu’il préférait ; mais il avait dans les veines une parcelle de ce sang qui gonflait le cœur de Mme Sorbier, sa cousine. Il éprouvait surtout le besoin de faire voir aux négocians et aux armateurs du Havre appelés par leurs affaires à Paris que là on ne le délaissait pas comme dans son ingrate patrie, qu’il avait un rang dans le monde et une maison ouverte où des personnages titrés ne dédaignaient pas de se montrer. C’était pour les Havrais qu’il donnait les dîners que les Parisiens mangaient.

Dans cette existence voilée qui promenait M. Desaubiers des stalles des petits théâtres aux restaurans du Palais-Royal, M. Closeau du Tailli, séducteur à sa manière, imitait assez volontiers ce courtisan du roi lombard que l’opéra-comique a chanté. Chapeaux bleus et chapeaux roses achetés au rabais encadraient les visages tour à tour bruns et blonds des pauvres filles auxquelles il prodiguait ses largesses économiques. Un jour cependant la rude cuirasse que l’embonpoint et l’égoïsme avaient épaissie autour de son cœur se fondit comme un bloc de glace exposé au soleil. Au lieu de ces faciles amours qui n’avaient que la durée d’un caprice, M. Closeau du Tailli connut la passion véritable ; il aima d’un amour violent et jaloux une pauvre jeune fille qu’il avait arrachée à la gêne d’une vie laborieuse et honnête pour la transporter au milieu des raffinemens d’une aisance équivoque. Marcelle avait le cœur bon, la reconnaissance l’attachait plus que l’intérêt ; mais, comme une alouette, elle était attirée par tout ce qui brille. Un chiffon lui faisait tourner la tête. Comment se dénoua cette vulgaire histoire, comment les assiduités d’un riche et beau jeune homme triomphèrent des maigres prodigalités de M. Closeau du Tailli, comment Marcelle, délaissée par son nouvel amant, termina à l’hôpital une existence abrégée par la misère, c’est ce qu’il est inutile de raconter. Il suffit de noter ici que le rival heureux du séducteur de Marcelle s’appelait M. de Courtalin. — J’ai perdu, s’était écrié M. Closeau du Tailli quand il s’était vu abandonné pour le jeune gentilhomme, j’ai perdu, mais j’aurai ma revanche !

Deux années plus tard, l’occasion de cette revanche s’était présentée, et on a vu avec quel empressement l’ancien rival de M. de Courtalin l’avait saisie. Sophie l’avait vengé de Marcelle.


VI.


Le lendemain du jour où M. Closeau du Tailli avait ramené M. de Courtalin de la Colombière, il ne perdit pas une minute pour se rendre chez Maurice, qu’il trouva travaillant.

— Eh ! mon jeune ami, regardez-moi, dit-il.

— Est-ce que vous avez une nouvelle à m’apprendre ?