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avaient calmé son esprit, sujet aux irritations sourdes et aux secrets découragemens. Que de souvenirs n’évoquaient-ils pas dans sa pensée ! De combien d’heures laborieuses n’avaient-ils pas allégé le poids par leur présence ! Combien n’avaient-ils pas vu de jours difficiles ou gais, éclairés par un sourire ou mouillés par une larme ! Il ne pouvait en détacher ses regards, lorsque le son d’un piano voisin se fit entendre. Maurice allait prendre son chapeau, il s’arrêta et tendit l’oreille. C’était le piano de Laure qui jouait l’Adieu de Schubert. Jamais l’instrument n’avait eu d’accens plus tendres et plus mélodieux ; on aurait dit qu’une âme se plaignait et chantait avec lui.

Un instant Maurice écouta le cœur plein de trouble. Il lui semblait que le bonheur était derrière lui et prenait une voix pour le rappeler.

— Eh bien ? dit M. Closeau du Tailli.

Maurice tressaillait, et poussant la porte avec violence :

— Partons ! dit-il, et il descendit l’escalier précipitamment.

Prévenue de l’arrivée de Maurice par M. Closeau du Tailli, la famille Sorbier était sous les armes et l’attendait. La présentation eut lieu dans les formes. M. Sorbier mit de la bonhomie dans son accueil. Il vivait simplement, dans un cercle étroit de quelques amis ; il avait les goûts tranquilles, et M. de Treuil trouverait cet intérieur bien modeste et bien monotone, s’il le comparait à l’existence bruyante et animée des artistes.

— J’ai travaillé, je me repose, dit-il en achevant son petit discours.

— Mais, monsieur, je travaille aussi, répondit Maurice, et cette existence retirée ne m’effraie pas.

Mme  Sorbier, qui regrettait l’alliance de M. de Courtalin, reçut Maurice poliment, mais froidement. Sophie se renferma dans la timidité naturelle d’une jeune fille comme dans une cuirasse. M. Closeau du Tailli était d’une joie folle. Il parlait de faire des couplets pour le jour des noces.

— Vous verrez ! vous verrez ! je rime encore, disait-il.

Pour donner plus d’éclat à cette petite fête de famille, M. et Mme  Sorbier avaient à la hâte invité quelques-uns de leurs amis, entre autres M. Guillaume Giraud et M. de Courtalin. Laure n’avait pas non plus été oubliée et s’était rendue à la Colombière, où elle arriva le cœur brisé et le front souriant.

M. Closeau du Tailli accourut au-devant de M. de Courtalin et lui saisit le bras.

— On craignait presque que vous n’arrivassiez pas, lui dit-il. Mme  Sorbier était déjà toute en peine.

— C’est vrai, dit Mme  Sorbier, la présence de notre meilleur ami eût manqué à cette fête de famille.

— Vous m’aviez écrit ; le ministre en personne ne m’aurait pas