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pauvre qui se faisait l’écho d’Elliott était à l’unisson avec les plus riches industriels. Ainsi la pensée de réforme, agressive peut-être, mais en un certain sens conciliatrice, respire dans ces poètes. Le pauvre qu’ils représentent commence à faire fausse voie, mais il appelle des guides à son secours ; il a le tort de se mêler à la politique, mais il ne se confie pas en ses seules forces ; il conserve des alliés et des tuteurs.

Samuel Bamford, peu connu dans notre pays, a eu ses jours de célébrité. Tout le monde a lu, en Angleterre, son livre des Aventures d’un Radical (Passages in the life of a Radical), publié en 1844. Avec le récit de la part qu’il avait prise aux premières luttes du radicalisme, Bamford faisait la leçon aux chartistes d’il y a dix ans. Quelques-uns de ses vers étaient disséminés dans ce recueil de souvenirs ; il a donné tout un volume de poésies. Sa pièce la plus connue est celle qui se trouve dans le roman de Mary Barton. Ouvrier en soierie, Bamford habitait la petite ville de Middleton, près de Manchester. Deux fois arrêté, accusé de haute trahison, acquitté sur ce chef, condamné pour un moindre délit à quinze ou dix-huit mois de prison, Bamford représentera pour nous une certaine époque dans la poésie des pauvres ; nous chercherons dans ses écrits, non pas sa personne, mais les idées d’un temps.

Le mot de classism est de création assez récente et désigne cette distinction des classes si rigoureusement observée en Angleterre. Le classism est donc l’ennemi de tout ce qui est radical, mais c’est un ennemi que l’on combat à armes courtoises ; on espère l’absorber à force de concessions et l’étouffer sous les politesses. On n’y parvient pas aisément. Il s’humanise quelquefois et tend sa main gantée à la main noire et calleuse de l’ouvrier, mais une fois entré dans la place, il relève la tête et reprend son empire. Depuis que des hommes de conditions très diverses se sont rapprochés pour atteindre à un but de réforme politique, des faits nouveaux et curieux se sont produits. On a vu par exemple des lords présenter à la chambre haute des pétitions d’ouvriers, leurs amis politiques. Chose inouie sans doute qu’un homme obscur, mal vêtu, mourant de faim peut-être, qui vient frapper à la porte d’un somptueux hôtel et conférer avec le chef d’une puissante famille ! Ne serait-on pas tenté de croire qu’on approche de quelque nuit anglaise du 4 août, qu’on va voir les lords apporter sur le bureau leurs couronnes de comte et de duc, et qu’on aura beaucoup de peine à les empêcher d’y déposer leurs habits noirs ? Mais regardons-y de plus près, et voyons comment les choses se passent selon Bamford lui-même. Cet ouvrier sans ouvrage, mais non pas sans système politique, ce pauvre qui est plus sûr de lire son journal que de dîner, ne trouve pas sa seigneurie en son hôtel le jour où il