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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

à quatorze ans ce métier fatal. Il succède à son père sur le billot de bois, grinding-horse, en face de la meule ; il pose l’acier sur la pierre emportée par la vapeur, et soulève des bouquets d’étincelles, en même temps que des flots d’une pesante poussière, au milieu desquels il respire la mort. À vingt ans, il est asthmatique et commence à marcher rapidement vers le tombeau. On a imaginé d’adapter à la meule des tuyaux pour conduire cette poussière, mais l’ouvrier ne peut souffrir qu’on le sauve ; il arrache, il foule aux pieds l’appareil préservateur ; il craint que le métier, devenu moins périlleux, n’attire plus de monde et ne diminue le salaire ; il aime mieux qu’il soit mortel et bien payé. Ce qu’il y a de plus lamentable, c’est que le père de famille sobre et laborieux est le plus vite emporté. L’ouvrier qui boit vit plus longtemps, parce qu’il est moins souvent à l’ouvrage. La débauche est pour ces malheureux un moyen de conservation. Voici maintenant le texte d’Elliott :

« Là est rémouleur à la pénible respiration ; il est là, toussant, penché sur son travail mortel. Né pour mourir jeune, il ne craint ni aucun homme ni la mort. Se riant de l’avenir, il dépense tout ce qu’il gagne : la débauche et la querelle sont ses amis de cœur. Il joue le tory et le sultan. Malheur au traître qui ose désobéir au dey gagne-petit ! Le dégât qu’il fait montre les effets de sa colère. Une foule de boutades de grand seigneur, boutades de nuit et de jour, illustrent glorieusement sa puissance, qui ne connaît pas de loi. Voilà ses erreurs : n’a-t-il pas des vertus ? C’est un vaurien, mais il n’est pas inscrit à la taxe des pauvres. Il sait fort bien ce que peuvent des hommes qui s’associent, il sait maintenir son droit : il est libre, et, le défi dans ses yeux, il déconcerte le monopole. Cependant Abraham et Elliot[1] s’efforcent avec leur science de prolonger sur ses joues l’éclat de la santé. Il ne veut pas vivre ! il semble pressé de gagner l’asile inviolable de la tombe, et, vieillard à trente-deux ans, il succombe ! »

Ebenezer Elliott finit par devenir tout à fait campagnard, il quitta les environs de Sheffield pour un paysage où il ne voyait plus que des fermes, des cultures et des champs de ce blé indigène auquel il avait fait une si rude guerre. Il se bâtit une maison, un cottage. Le cottage est l’alpha et l’oméga des poètes anglais ; quand ils ne commencent pas par là, c’est par là du moins qu’ils finissent. Dans les Corn-Law Rhymes, il y a une prière du poète qui faisait pressentir qu’il chercherait un jour le repos des champs et la solitude. Il demandait une tombe dans une silencieuse campagne et priait le rouge-gorge d’y venir chanter quelquefois. Par une touchante coïncidence, le rouge-gorge vint chanter à sa fenêtre, quand il était sur son lit de

  1. M. Elliot, qui n’est pas le poète, inventa le tuyau préservateur ; M. Abraham le perfectionna.