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SIR ROBERT PEEL.

aux sentimens du peuple une bien plus large part, en se recrutant incessamment dans son sein, elle était encore la classe prépondérante. Elle n’est plus maintenant que la classe gouvernante ; le pouvoir politique est dans ses mains ; mais elle ne l’exerce que sous l’influence, dans les intérêts et selon les sentimens du pays tout entier. La royauté avait été, depuis 1688, étroitement liée à l’un ou à l’autre des deux grands partis aristocratiques, aux whigs tant que la succession protestante et la cause victorieuse en 1688 avaient été en question, aux tories depuis sa lutte d’abord contre l’indépendance des colonies américaines, puis contre la révolution et l’empire français. Elle est maintenant affranchie de ces liens ; elle a retrouvé, dans ses rapports avec les partis, non pas sa domination, mais l’indépendance ; elle a repris son rôle de pouvoir médiateur et modérateur, à la fois supérieur et populaire. Moins absolue que jamais, elle jouit cependant plus pleinement et plus librement que jamais de son pouvoir et de ses droits constitutionnels. L’église anglicane, sans perdre sa position politique, s’est consacrée et se consacre de plus en plus à sa mission religieuse ; fidèle à la couronne, c’est pourtant dans la foi, les sentimens et les pratiques pieuses du peuple chrétien qu’elle cherche et trouve son principal point d’appui. Bien plus encore que les autres puissances sociales, la démocratie a changé de caractère. En 1823, à propos de l’intervention française en Espagne, M. de Talleyrand disait dans la chambre des pairs : « Il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Napoléon, plus d’esprit que Voltaire, c’est tout le monde. » On peut dire aujourd’hui, même à propos de l’Angleterre : « Il y a quelqu’un qui a plus de pouvoir que la couronne, plus de pouvoir que l’aristocratie, c’est tout le monde. » Et tout le monde, c’est la démocratie. Où commence-t-elle ? où finit-elle ? à quels signes visibles se distingue-t-elle des autres élémens de la société ? Personne ne pourrait le dire ; mais peu importe : pour être difficile à définir, le fait n’en est ni moins certain, ni moins puissant. Les élémens les plus divers entrent dans la composition de la démocratie moderne, — des classes riches et des classes pauvres, des classes savantes et des classes ignorantes, les maîtres et les ouvriers, des conservateurs et des novateurs, des amis du pouvoir et des enthousiastes de liberté, bien des aristocrates même, détachés de leur origine par leurs mœurs, par leur aversion des gênes et des devoirs que l’aristocratie impose. Et la position de la démocratie anglaise n’est pas moins changée que sa composition ; elle ne se borne pas, comme jadis, à défendre au besoin ses libertés ; elle regarde les affaires publiques comme les siennes, surveille assidûment ceux qui les font, et si elle ne gouverne pas l’état, elle domine le gouvernement.

Elle lui fournit quelquefois ses chefs. Sir Robert Peel est le plus