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méconnaître la légitimité. Puissans dans l’ordre politique, ils ont obtenu pour eux-mêmes, et par voie de conséquence pour les autres, ce que des sectes comme les indépendans, plus touchées des droits de la conscience universelle, n’auraient jamais réussi à obtenir. Pourtant il est juste de le reconnaître, c’est dans ces sectes, aujourd’hui mieux jugées, mères fécondes des grandes congrégations américaines, c’est dans ces austères associations, si longtemps dédaignées par le bel esprit des courtisans et des philosophes, que le libéral disciple de l’Evangile retrouvera les plus beaux exemples de l’application sociale de la maxime de saint Paul : « là où est l’esprit de Dieu, là est la liberté. »

On doit néanmoins convenir que le talent n’y brilla pas d’un aussi grand éclat que dans le sein de l’église. À l’exception de Baxter et d’Owen, on citerait difficilement au XVIIe siècle, des dissidens qui pussent être mis en parallèle avec les écrivains de la communion épiscopale. L’érudition et la littérature, grâce sans doute aux universités, restèrent du côté de l’orthodoxie anglicane, ou si l’art de penser et d’écrire se montra en dehors de ce cercle, ce fut surtout dans cette troupe irrégulière qui se forma sur les flancs de toutes les sectes en arborant la bannière du libre examen. Ceux qu’on appelle exclusivement philosophes ne se constituent pas naturellement en congrégations. Il ne leur faut guère plus que la liberté de la presse. La liberté de se rassembler, celle de prier en commun, leur est à peu près indifférente, et tout en abandonnant quelquefois la croyance des églises établies, ils ne s’en séparent point civilement ; ils continuent d’y faire nombre, et elles prennent en général à leur compte les indifférens. Aussi, de toutes les communions protestantes, est-ce l’église officielle qui a fourni en Angleterre le plus d’adeptes à la liberté de penser. L’influence de la philosophie de Bacon, le progrès des sciences, le ton naturellement sceptique de la cour et du grand monde, encouragèrent cette liberté dans la république des lettres. L’esprit latitudinaire touchait à l’indifférence. Tillotson, ainsi que d’autres évêques, protégeait Firmin, et le socinianisme ne diffère que par quelques nuances du rationalisme pur. « C’est, disait Wilberforce, la dernière étape avant le déisme. » Il serait possible, mais il serait difficile de tracer avec certitude la ligne de démarcation qui sépare les unitairiens chrétiens tels que Locke et Whiston des déistes tels que lord Herbert et lord Shaftesbury. Il faudrait, dans une histoire de la philosophie ou même de la littérature anglaise, un examen très attentif et très délicat pour caractériser, sous ce rapport, cette foule de penseurs et d’écrivains qui souvent, avec un grand éclat de talent et de renommée, se sont montrés sur ce territoire neutre et disputé entre la religion et la philosophie.