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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/511

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fils le nom de Hartley, tant était grande alors son admiration pour le philosophe qui fut le continuateur de Locke et le maître de Priestley et de Bentham.

Il n’en était plus la à son retour d’Allemagne. Quand il visita ce pays, Kant y régnait. Coleridge entendit dans les universités les leçons de ses élèves. Il reçut la puissante impulsion de cette philosophie, qui parut aux contemporains une découverte dans l’ordre moral comparable à celle de Newton dans l’ordre physique. Kant a dit lui-même que la aussi il ne fallait, comme autrefois Copernic, que retourner le système du monde pour trouver le véritable. En faisant connaissance avec la philosophie critiqué ; Coleridge cependant ne l’accepta pas tout entière, je doute même qu’il l’eût étudiée dans toutes ses parties ; mais il adopta résolument, irrévocablement, quelques-unes de ses distinctions fondamentales, tâcha de s’approprier sa méthode, et réussit, chose plus facile, à s’approprier son langage. C’était assez pour qu’en rentrant en Angleterre il parût marqué d’un cachet d’originalité.

Nous ne le suivrons pas maintenant dans les travaux singulièrement variés qui remplirent, depuis le commencement de ce siècle, sa triste et brillante carrière. La poésie lyrique, narrative, dramatique, et la presse quotidienne l’attirèrent tour à tour et lui valurent des succès. Il vécut à Londres et à Keswick, dans le monde des journaux et sur le bord des lacs. Il fut un poète rêveur et contemplatif, un polémiste âpre et hautain. Isolé partout, peu goûté, vanté cependant, il servit le parti dominant sans lui plaire, et parvint à se faire admirer plus souvent que comprendre. Le torysme bientôt dégénéré de l’école de Burke était devenu quelque chose de trop pratique et de trop routinier pour bien apprécier un novateur qui lui venait en aide avec d’apparens paradoxes ; mais ses adversaires l’entendirent assez bien pour lui rendre inimitié pour inimitié, et ne lui point épargner d’acerbes critiques. Chez lui, la pensée, assez élevée pour paraître inaccessible, ne compensait point la hauteur par l’éclat. Il ne se saisissait pas des esprits, tout en voulant les dominer. Trop évidemment le public était pour lui le vulgaire, et en l’appelant profane, il l’éloignait. Il décourageait ses amis, qui ne pouvaient le suivre, et son caractère ne regagnait pas ceux qu’aliénait ou embarrassait son esprit. Sa vie, comme ses ouvrages, avait une sorte d’obscurité mal réglée dont profitaient ses ennemis. Son talent, bien qu’éminent à beaucoup d’égards, manquait de cette beauté limpide qui frappe tous les yeux, et il n’a peut-être rien produit d’achevé. Comme penseur, il voyait loin plutôt qu’il ne voyait clair. Comme écrivain, son imagination était plus forte que brillante ; c’était un coloriste sans lumière. Les succès du poète devaient donc être contestés ; l’influence