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à être moins superficielle, et notre philosophie moins dédaigneuse. Coleridge, qui faisait un cas particulier des théologiens, de ceux surtout qui avaient précédé 1688, lisait leurs ouvrages en les annotant ; ses extraits et ses notes ont rempli deux volumes de ses Reliques littéraires. Rien ne le fait mieux connaître que ces réflexions détachées sur presque tous les points de la religion ; peu de lectures sont plus propres à former, à développer ou à rectifier la foi par la réflexion.

Coleridge se croyait platonicien, et ses compatriotes le prenaient au mot. Arnold, sans aller jusque-là, écrivait à son neveu, le juge Coleridge : « Nous lisons maintenant le Phédon ; ce doit être là, je suppose, la perfection ou à peu près du langage humain. L’admirable précision des grands écrivains de l’Attique est bien frappante ; lorsque l’on est parvenu à une complète connaissance de leur langue, ils sont plus clairs à mon avis que ne peut l’être un écrivain anglais, à raison de l’infériorité de son instrument. Je pense souvent que j’aurais mieux entendu votre oncle, s’il avait écrit dans le grec de Platon. Ses Propos de table en font pour moi un très grand homme dont je ne saurais trouver l’égal en Angleterre[1]. » Il manquait encore autre chose que la langue à l’auteur de Christabel pour approcher de l’auteur du Phédon, si toutefois cette langue incomparable peut être conçue séparément des pensées dont elle était autant la forme que le vêtement. Coleridge n’avait point cette facilité de génie qui permet à Platon de cacher la rigueur sous l’élégance, la profondeur sous la clarté, la sublimité sous l’enjouement. Il n’avait point cette dialectique souple et puissante qui pénètre et illumine toutes choses, et n’impose ni sacrifice au goût, ni fatigue à l’esprit, pour les conduire dans les rudes et arides sentiers de l’abstraction. Enfin sa raison était comme liée par un certain nombre de partis-pris qui gênaient ses mouvemens et lui mesuraient l’es pace. On peut accorder seulement que s’il est vrai, comme il le dit lui-même, que tout homme est né aristotélicien ou platonicien, la seconde vocation était la sienne, et il prenait parti pour la théorie des idées. Comme après la Bible les Anglais de toute opinion aiment à retrouver tout dans Shakspeare et dans Bacon, il est parvenu, dans une dissertation ingénieuse encore qu’un peu vague, et qui sert de discours préliminaire à l’Encyclopœdia metropolitana, à découvrir dans Bacon et même dans Shakspeare le fond de la méthode de Platon, et il s’est toujours efforcé d’arracher l’esprit national au joug de l’empirisme de la philosophie naturelle. Il est cependant moins

  1. Il dit ailleurs : « Quel grand homme était votre oncle, c’est-à-dire intellectuellement ! car quelque chose, j’imagine, doit lui avoir manqué pour nous empêcher de l’appeler un grand homme (absolument) ; mais où a-t-il laissé son égal ? »