Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UNE VISITE
AU PRINCE DANILO


Dans les premiers jours du mois d’avril 1856, je me trouvais à Scutari. Le consul de France, qui devait se rendre auprès du prince Danilo, m’offrit de l’accompagner, et je saisis avec empressement l’occasion de gagner sûrement le Monténégro et de voir le chef de ce petit pays, qui occupe en ce moment l’attention de l’Europe. Je venais d’arriver en Albanie, j’avais à peine commencé l’interminable série de tasses de café que tout voyageur doit subir en Turquie ; je n’avais encore vu des Albanais que leurs ceintures, véritables arsenaux de pistolets, de yatagans, de cartouchières et de poignards ; j’avais seulement reconnu que je n’étais plus en Europe, quoi qu’en dise la géographie. J’étais transporté au milieu de populations primitives et guerrières. L’escorte que Mahmoud-Bey, gouverneur d’Antivari, nous avait gracieusement envoyée, à mon ami[1] et à moi, pour nous conduire à Scutari, nous avait, en guise d’hommage, gratifiés de coups de pistolet tout le long de la route. Nous avions été suivis longtemps par un Albanais au teint de bronze, qui montait un cheval gris de fer, assis fièrement sur sa selle turque, vêtu de la fustanelle blanche et de la veste rouge brodée de noir. Jamais Albanais

  1. Je voyageais avec M. Denois, fils du consul de France à Venise et attaché à la légation de Turin. Ce malheureux jeune homme devait, au terme même d’un voyage qui dura soixante-sept jours, périr en Albanie, emporté par un des tourbillons du Fleuve-Noir.