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code pénal que les vieillards adoptèrent, parce qu’il renouvelait les principales lois établies jadis par Pierre Ier ce vladika que les chansons monténégrines appellent saint et homme de génie. Le jour de la nativité de la Vierge, en novembre 1852, une réunion populaire fut convoquée de nouveau dans la plaine de Cétigné pour entendre la lecture du nouveau code et en proclamer solennellement la validité. La cérémonie fut imposante. Le prince jura sur la croix et sur les livres saints de se dévouer exclusivement aux intérêts du Monténégro, et les vieillards s’engagèrent envers lui par le serment le plus inviolable. Les députés des nahias s’inclinèrent successivement devant le jeune prince ; il attacha à leurs berrettas nationales l’aigle à deux têtes entourée d’une inscription qui proclamait ses titres. Sans doute ces députés eurent peine à reconnaître dans le prince sérénissime leur ancien compagnon, qui allait dans les montagnes buvant et chantant, et maraudait avec eux sur la terre d’Albanie. Le nouveau code pénal fut mis en vigueur. Récemment encore dans tous les pays d’alentour, en Dalmatie, en Herzégovine, aux bouches de Cattaro, Monténégrin voulait dire pillard ; jamais un négociant de Zara ou même de Cattaro n’eût osé s’engager dans les sombres défilés du Monténégro. Aujourd’hui, quand on n’est pas Turc, on peut s’y aventurer. Des voleurs ont été arrêtés et bâtonnés pour un délit qui jusqu’alors avait été considéré comme un usage.

Cependant l’ambition de Danilo n’était pas satisfaite ; il aspirait à faire reconnaître son pavillon par toutes les puissances. Il fit des ouvertures à ce sujet à M. de Meyendorff, qui représentait la Russie à Vienne ; mais il reconnut que le moment n’était pas encore venu. La Sublime-Porte, qui prétend à la suzeraineté du Monténégro, n’était pas restée indifférente aux changemens accomplis, avec la protection du tsar, par son jeune vassal ; elle avait adressé aux ministres des puissances un mémorandum sur les empiétemens de la Russie dans le Monténégro. Elle s’inquiéta aussi d’un mariage projeté entre Danilo et une princesse de Servie.Comme les combats partiels continuaient sur les frontières, huit mille hommes de troupes furent répartis entre Vaslidia, Gasko, Trebigne et Mostar ; Omer-Pacha arma de nouveau les rayas, qu’il avait désarmés l’année précédente, et appela à lui Osman, pacha de Scutari. La guerre s’annonçant, le prince dut songer que chez lui, comme chez les nations civilisées, le vrai nerf de la guerre c’est l’argent, et il ne commit pas l’imprudence de se laisser prendre au dépourvu. Proposer l’adoption d’un impôt au Monténégro était un acte bien hardi. Danilo réussit pourtant à persuader les vieillards et les chefs des nahias. L’impôt fut établi et accepté sans exciter de murmures. Les plus riches familles payèrent six florins, les moins fortunées quatre, et les pauvres un seul. C’était, comme on voit, une sorte d’impôt sur le revenu.