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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/694

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l’excédant de l’entrée de l’or sur la sortie atteint le chiffre de 923 millions, et par contre nous avons perdu par l’exportation 479 millions de notre numéraire d’argent. Ce mouvement s’est accru encore cette année, et s’il n’a pas de limite, la révolution sera promptement accomplie : en peu d’années, la France aura troqué contre de la monnaie d’or son numéraire d’argent.

Tel est le fait. Quelles en sont les causes ? Ces causes, que ceux qui ont traité cette question n’ont pas, à notre connaissance, embrassées dans leur ensemble, n’ont rien de mystérieux ; on peut les découvrir et les suivre l’une après l’autre dans leur action combinée. La première, celle qui est à notre portée et qu’il dépend de nous de laisser agir ou d’interrompre, c’est notre régime monétaire, qui admet deux étalons, et qui prétend fixer une équivalence constante entre l’étalon d’or et l’étalon d’argent. Comme cette équivalence fictive ne régit que nous, comme elle est exposée à être altérée par les accidens de la reproduction et les mouvemens du commerce, tantôt au profit de l’argent, tantôt au profit de l’or, il s’ensuit que les étrangers peuvent venir remplacer chez nous l’or par l’argent ou l’argent par l’or, suivant que sur le marché du monde l’un de ces métaux jouit d’une prime par rapport à l’autre. Tant que nous aurons deux étalons, nous ferons exposés à cette substitution d’un métal à l’autre ; on nous laissera le métal relativement le moins cher, et on nous enlèvera le plus cher. Ce bénéfice de la cherté relative de l’argent par rapport à l’or existe-t-il réellement en ce moment ? Oui, dans une très petite proportion, mais assez lucrative pour tenter le commerce. Un des hommes les plus compétens en cette matière, M. Poisat, a signalé depuis longtemps les bénéfices qu’offrait même, par leur nature particulière, la moitié peut-être de notre circulation en pièces de 5 francs, et il attribue en grande partie à cette cause l’exportation de ces pièces ; mais la direction que prend cette exportation nous en indique la cause la plus efficace. C’est dans l’Inde et en Chine que va tout cet argent, que l’Angleterre vient prendre chez nous en laissant de l’or à la place. On estime à 525 millions l’argent qui a été expédié ainsi, pendant les six dernières années, d’un seul des ports du royaume-uni, celui de Southampton. Jusqu’ici le mystère ne disparaît pas encore, il ne fait que s’éloigner : D’où viennent, dans l’Asie britannique et dans l’extrême Orient, cette préférence donnée à l’argent sur l’or et ces besoins si gigantesques et si subits ? Voici l’explication, et elle nous parait plausible. L’Inde, soumise aux Anglais, a changé plusieurs fois d’étalon monétaire depuis 1835. Jusqu’alors l’Inde n’avait eu, comme la métropole, pour étalon monétaire que l’or ; mais à cette époque la compagnie des Indes adopta exclusivement l’étalon d’argent. Cependant vers 1841 les gouvernemens locaux autorisèrent les collecteurs des taxes à recevoir des monnaies d’or. L’Inde fut alors dans une position analogue à celle de la France, les deux métaux y jouissant du cours légal. Lors des découvertes des mines d’Australie, le gouvernement de la compagnie partagea les appréhensions de ceux qui croyaient à la dépréciation prochaine de l’or, et il notifia, à la fin de 1852, que les pièces d’or ne seraient plus reçues par le trésor à partir du 1er janvier 1853. Tel est le régime monétaire qui prévaut dans l’Inde, et dont l’influence vient retentir chez nous d’une façon si étrange. Les exportations de l’Inde sont beaucoup plus considérables que ses importations ; elle en demande la différence à l’Europe en ar-