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rue Saint-Denis ; des chemises sèchent sur l’entablement, des cheminées surmontent la ruine romaine, et un grand tube se dessine à son extrémité.

Tout près du théâtre de Marcellus, Auguste consacra un portique à la mère de Marcellus, la vertueuse Octavie : rapprochement qui a son charme, car le souvenir de la douleur de cette mère est associé pour nous à la mort prématurée de son fils. Une tradition qui paraît douteuse, mais à laquelle il serait pénible de ne pas croire, nous représente la lecture de l’Enéide dans le palais impérial interrompue par un cri des entrailles maternelles, Virgile s’arrêtant tout ému et presque épouvanté de l’effet de ses vers à l’aspect de cette mère évanouie et comme morte ; mais je m’aperçois que je parle de souvenir : la scène que je décris, je l’emprunte à un grand peintre qu’on peut citer à Rome à propos de Virgile, car il est de la famille des artistes et des poètes de l’antiquité.

C’est un beau caractère que celui de la sœur d’Auguste ; autant le frère fut un homme de calcul et d’égoïsme, autant la sœur fut une femme d’abnégation et de dévouement. Il reste du portique d’Octavie de très belles parties, dans lesquelles on reconnaît, — avec plus de simplicité, parce qu’un portique ne devait pas ressembler à un temple, — le beau goût architectural du temple de Mars Vengeur. Auguste avait placé là, comme près de sa maison du Palatin, une bibliothèque. On retrouve toujours chez Auguste cet amour, je crois sincère, des lettres, le meilleur trait de son caractère, mais dont il se servit pour séduire les Romains au pouvoir absolu, ce qui m’empêche d’en être fort touché. Ce qui me touche davantage, c’est que cette bibliothèque fut dédiée par Octavie à la mémoire de ce fils qu’elle pleurait. Malheureusement ce qui reste du beau portique d’Octavie, que décoraient les chefs-d’œuvre de Phidias et de Praxitèle, s’élève dans un des endroits les plus sales de Rome, près de l’infect ghetto, où sont entassés les juifs, et au milieu du marché aux poissons. Cependant ce lieu aussi est pittoresque ; qu’est-ce qui n’est pas pittoresque à Rome ? La vieille rue sombre qui débouche avec ses maisons noires et irrégulières dans le portique, les tables de marbre sur lesquelles on étale le poisson, de grandes nattes appendues aux colonnes et aux masures qui les touchent, et, donnant à tout cela un certain air de bazar oriental, le bleu du ciel entrevu à travers les ruines que le temps et le soleil ont dorées, puis à côté le gouffre ténébreux de la petite rue, offrent aux regards du promeneur une aquarelle toute faite. Pour achever le chapitre des contrastes, c’est, dit-on, près de cette poissonnerie fangeuse qu’on a déterré la Vénus de Médicis. Il y avait sous le portique d’Octavie deux Vénus, l’une de Phidias et l’autre de Philiscus. D’après le style, plus gracieux qu’élevé, de la Vénus de Médicis, on ne peut y voir l’œuvre de