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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/719

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découvrant sa poitrine, il refusait le titre de dictateur. On pourrait bien trouver aussi quelque trace d’hypocrisie dans ce grand soin des mœurs publiques chez un prince qui gouvernait assez mal les siennes ; mais, n’ayant affaire qu’aux monumens de Rome, qui naturellement n’ont rien à nous apprendre là-dessus, je dirai plutôt un mot de son hypocrisie religieuse.

Auguste donna ses soins à la religion. Il rétablit des cérémonies religieuses tombées en désuétude et des fonctions sacerdotales abolies ; Cependant le neveu de César ne paraît pas avoir été au fond beaucoup plus dévot que lui. Une partie de sa flotte ayant péri dans son expédition contre Sextus, fils de Pompée, il fit enlever l’image de Neptune d’une pompe triomphale, et plus tard, quand il éleva le théâtre de Marcellus, il fit abattre le temple de la Piété romaine, qu’aurait dû protéger le souvenir auquel on l’avait consacré, celui du dévouement de la jeune femme qui de son lait nourrit son père dans la prison où il était condamné à mourir de faim. Démolir un temple pour élever un théâtre, ce n’était pas très religieux de la part de celui qui fut grand pontife.

Et puis quel a été le résultat de toute cette dissimulation, tantôt seulement prudente, tantôt effrontée ? A quoi ont abouti toutes ces ruses, tous ces artifices ? Auguste a donné la paix au monde, ou plutôt Il y a maintenue, car César avait tout vaincu ; mais cette paix était celle qui, comme dit Tacite, est un nom de la servitude. Il a fondé l’organisation de l’empire, c’est-à-dire la désorganisation de la société romaine, dont la vie était la liberté, et la désorganisation, comme toujours, a produit la mort. Auguste a construit avec un art patient une odieuse machine de tyrannie, un gouvernement d’étouffement et de servilité, dans lequel il n’y avait qu’une chose à bénir : c’est qu’il portât en lui, par l’excès du despotisme, le principe de sa ruine, et qu’il ait dû plus tard, juste châtiment, livrer aux Barbares le peuple dégénéré qui l’avait laisser fonder.

Mais l’on dit : Rome était trop corrompue, et tout autre gouvernement y était impossible. Oui, Rome était corrompue, et dans une précédente étude j’ai reconnu avec tout le monde combien cette corruption était profonde et dangereuse. Oui, certes, la corruption des mœurs est un grand péril pour la liberté et un grand secours pour la tyrannie ; s’ensuit-il que la tyrannie soit bonne parce que la corruption lui est favorable ? Oui, la corruption est un grand obstacle à la liberté ; mais la liberté est la seule défense contre la corruption. La corruption menace la liberté et sert le despotisme ; mais, parce qu’elle menace la liberté, est-ce une raison de la faire triompher par le despotisme ? Et puis on a un peu abusé d’une vérité incontestable. M. de Rémusat, dans son portrait de Fox, s’est très bien moqué de ceux qui, pour éconduire honorablement la liberté, lui font une condition