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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/734

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et perfides excitaient contre elle la multitude. On parlait vaguement d’enfans enlevés et massacrés par les Juifs. L’intérêt conspirait avec la superstition contre le repos de ces malheureux exilés. À la suite des mouvemens provoqués par une rage fanatique, la confiscation, le pillage, la spoliation sous toutes les formes, terminaient invariablement chaque acte de cette longue et sanglante tragédie. Tout était permis contre la nation maudite.

L’Espagne ne pouvait échapper à l’influence de ces haines religieuses et intéressées. Le 2 janvier 1492 avait vu disparaître le croissant de la péninsule ibérique. Infatués de leurs conquêtes, poussés par le bras de l’inquisition, Ferdinand et Isabelle prirent alors une résolution qui devait couvrir leur beau royaume de tristesse et de solitude. Il fut décidé que le sol de l’Espagne ne serait pas plus longtemps souillé par la présence d’hommes qui ne professaient point la religion catholique. Cette nouvelle éclata comme un coup de tonnerre et porta la consternation parmi les Juifs. Cent soixante mille familles, établies depuis un temps immémorial dans le pays, allaient être bannies par un zèle fanatique et par une insatiable avarice d’une terre où étaient les tombeaux de leurs ancêtres. Les Juifs espagnols offrirent au roi une somme considérable pour prévenir l’application de cette mesure cruelle. Le roi hésitait ; mais Torquemada intervint et demanda fièrement à sa majesté catholique si elle voulait suivre l’exemple de Judas Iscariote, qui avait trahi le Christ pour de l’argent[1]. L’édit de Ferdinand et d’Isabelle ordonnant l’expulsion des Juifs fut signé, dans une des salles de l’Alhambra, le 30 mars 1492. Les Juifs étaient les seuls sujets du royaume qui possédassent de grandes fortunes. On leur permit de vendre leurs propriétés ; mais cette condescendance était une pure dérision. Une maison s’échangeait contre un âne, une vigne se donnait pour un manteau. Le jour de la grande dispersion arriva ; ce jour-là, huit cent mille personnes rassemblées de toutes les provinces, femmes,

  1. Cette histoire des Juifs d’Espagne et de Portugal a été écrite en anglais par un Juif dont la famille a quelque temps séjourné en Hollande : The History of the Jews in Spain and Portugal, by M. Lindo. Parmi les écrivains espagnols contemporains qui ont traité cette histoire navrante, n’oublions pas de consigner le nom de don Adolfo de Castro, qui, dans son ouvrage, Historia de los Judios en España, puisé aux meilleures sources, a fait preuve d’une grande impartialité.