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avec une rigueur extrême les doctrines du panthéiste ; mais il ne peut qu’admirer le caractère de l’homme. « Tout ce que nous connaissons de sa vie privée, dit-il, porte la même empreinte de calme, de modération et de dignité : avec de telles vertus, il aurait pu être l’ornement d’une communauté chrétienne[1]. »

Guillaume III avait eu en grande amitié plusieurs Israélites portugais ; les mémoires du temps nous apprennent même qu’il avait reçu du baron de Suasso des fonds considérables pour opérer sa grande expédition d’Angleterre. Son successeur avait suivi ces traditions ; il prit en haute considération M. Isaac de Pinto, économiste et écrivain distingué, qui, en 1748, au milieu d’une crise nationale, versa de grandes ressources dans le trésor public, au point que M. van Hogendorp, le trésorier-général, lui écrivit qu’il « avait sauvé l’état. » M. de Pinto contribua notablement aussi à faire élever le stadhouder Guillaume IV à la direction suprême des deux compagnies des Indes.

Malgré les avantages que le régime politique des Provinces-Unies offrait aux Israélites pour la culture de l’esprit et pour la silencieuse accumulation des richesses, en dépit du degré de splendeur où s’étaient élevées les synagogues d’Amsterdam et de La Haye, les exclusions légales dont les Juifs étaient victimes ne tendaient que lentement à s’effacer, bien que de temps à autre des esprits d’élite, tels que van Effen dans son Spectateur hollandais, protestassent énergiquement contre ces préjugés. Il ne faut pas oublier que les Pays-Bas n’avaient point dégagé leurs institutions sociales du dogme religieux. Les lois, d’accord avec les croyances et les mœurs, cherchaient à retenir les Juifs dans un état d’infériorité. Abolir ces exceptions était une œuvre réservée à la philosophie et à la révolution française. « Un fait digne de remarque, dit avec quelque amertume M. da Costa, c’est que la crise qui changea si complètement en France la position des protestans et des Israélites fut amenée en grande partie par des hommes qui étaient indifférens au protestantisme et pleins de haine et de mépris pour les Juifs. » Je ne sais sur quels faits M. da Costa appuie cette accusation : dans tous les cas, s’ils détestaient et méprisaient les Juifs, les hommes de 89 montrèrent qu’ils savaient mettre les principes au-dessus de leurs sentimens personnels. En 1791, une complète égalité fut proclamée pour tous ceux qui accepteraient les devoirs de citoyen français. La révolution, introduite en 1795 dans la république des Pays-Bas, devait porter les mêmes fruits, non-seulement pour les Juifs, mais pour tous les dissidens

  1. M. Limburg Brouwer, dont les études sur Spinoza ont été remarquées en Hollande, annonce la prochaine publication d’un ouvrage inédit du célèbre philosophe, découvert dans la bibliothèque de la communauté des remontrans à Amsterdam.