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temps souffert. Ils ne demeuraient point dans les différens états de la chrétienté : ils passaient. Voyageurs, ils cherchaient la cité future. Appuyés avec assurance sur leur foi dans la venue du Messie, ils aspiraient à l’heureux moment où Israël serait réuni des quatre coins du monde et restauré sur la terre de ses pères. Toutes leurs prières portent le témoignage de cette attente. « Convoque-nous, disent-ils à Dieu, par le son de la grande trompette, et lève l’étendard qui doit mettre une fin à la captivité ! Sois béni, Seigneur, toi qui rassembleras les exilés et qui les rappelleras dans leur patrie ! » Lorsque les Israélites arrivèrent en Hollande, ils ne réclamèrent eux-mêmes qu’une hospitalité provisoire. Tout ce qu’ils demandaient des autorités chrétiennes, c’était « un exil qui ne fût point trop dur. » L’émancipation des Juifs, œuvre de ces derniers temps, a eu pour conséquence de modifier leurs idées et leurs sentimens. Traités comme les autres citoyens, admis à tous les droits et à tous les avantages de la vie sociale, ils ont fini par trouver qu’après tout la captivité avait des charmes. La plupart d’entre eux se sont assimilés avec une ardeur extrême aux nations qui les adoptaient. De là deux conséquences, — une modification dans leurs doctrines religieuses d’abord, puis un affaiblissement dans leur esprit de race. Les Juifs doivent-ils redouter ou désirer ces conséquences ? Une réponse à cette question n’embrasse pas seulement les destinées du judaïsme dans les pays germaniques et anglo-saxons, mais dans le monde entier.

Dans le domaine religieux, on ne peut évidemment que souhaiter un accord des doctrines israélites avec la condition faite aux Juifs par la conquête de la liberté et de l’égalité civile. Quelques docteurs de l’ancienne loi peuvent s’effrayer de ce résultat, le philosophe et tous les Juifs instruits s’en réjouissent. L’abolition des incapacités et des indignités légales a déjà amené des faits heureux. Les Israélites ne séparent presque plus leurs intérêts des intérêts de la population chrétienne. La civilisation ne peut que gagner à un rapprochement qui lui assure le concours d’une race puissante et éclairée. Sans renoncer au Dieu de leurs pères, les Juifs modernes trouveront eux-mêmes dans un contact plus fréquent avec les autres doctrines morales un moyen de secouer les liens et les entraves dans lesquels les retenait jusqu’ici le rigorisme exclusif des talmudistes. Ainsi dégagé des superfétations de la loi orale, le judaïsme s’adapte, sans difficulté aucune, au mouvement des sociétés chrétiennes.

Une modification dans les préjugés de race n’est-elle pas également souhaitable ? La race juive, isolée des autres races par des exceptions et des limites légales, a conservé sous tous les climats une nationalité distincte, un type invariable. Il n’en sera plus de même