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elle rentre dans l’ombre sans que la justice ait eu le temps de se faire ou du moins de se généraliser autour d’elle, et, soit qu’ils restent sous le toit qui les a abrités dès l’origine, soit qu’ils se produisent passagèrement au dehors, les portraits de Gérard qui défendraient le mieux sa mémoire contre l’erreur ou l’oubli demeurent loin des regards de la foule et de l’examen familier des artistes. Bien de plus opportun par conséquent que de nous faire connaître ou de nous rappeler par voie de reproduction ces œuvres auxquelles manquait la lumière. Le recueil que l’on publie aujourd’hui suffira-t-il pour restituer au nom du maître son ancienne popularité ? On ne saurait le prétendre, mais il suffira sans doute pour raviver le souvenir d’un talent très digne d’étude, très digne d’être proposé en exemple, sauf les cas où il s’est démenti lui-même et en quelque sorte volontairement discrédité.

Il faut le dire en effet, tout n’est pas ingratitude dans la défaveur qui s’est attachée aux œuvres de ce talent, tout le mal ne vient pas de l’obscurité où sont reléguées les plus remarquables d’entre elles : Gérard lui-même a préparé en partie et presque justifié d’avance la réaction qui devait le déposséder du haut rang où il était parvenu. Dans la seconde moitié de sa carrière, n’a-t-il pas le premier trahi sa propre cause en n’exécutant ses ouvrages qu’en vue du succès immédiat ? Ce n’est pas seulement l’intervalle des années qui sépare la Psyché de Daphnis et Chloé, les figures allégoriques déroulant la Bataille d’Austerlitz du tableau de Corinne, les portraits peints au temps du consulat et de l’empire des portraits peints au temps de la restauration ; c’est encore et surtout la différence entre la grâce délicate du style et la mollesse, entre la grandeur et l’enflure, entre la forme étudiée de près et la forme surprise tant bien que mal. On a voulu expliquer cette transformation si regrettable de la manière de Gérard par un affaiblissement progressif dans les organes de la vue, et M. Lenormant lui-même n’hésite pas à mettre sur le compte d’une déchéance toute physique ce qu’il convient, selon nous, d’attribuer principalement à une sorte d’enivrement moral, à l’habitude prolongée du succès. Sans contester d’ailleurs l’influence que les infirmités ont pu exercer sur les formes matérielles de ce talent, il est permis de douter qu’elles aient suffi pour fausser à ce point ses tendances originelles. Que Gérard, en voyant moins bien, ait exprimé sa pensée avec moins de correction et de finesse, rien de plus naturel ; mais pourquoi cette pensée a-t-elle perdu sa distinction ? pourquoi ce goût de composition théâtral, ces exagérations de style ou ces banalités ? Tout cela s’explique-t-il par une fonction vicieuse du nerf optique ? Non, Gérard, qui avait mérité l’estime des délicats, en était venu, dans ses ouvrages, à courtiser la multitude.