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aussi fidèlement que possible la forme et l’animation des yeux. Le difficile est de combiner dans une juste mesure l’art et la vérité, de montrer ce qu’il faut montrer et de voiler ce qui ne doit être qu’entrevu, sans effet de convention, sans parti-pris apparent. Pour déterminer cette mesure entre la sincérité et l’artifice, il n’existe pas de recettes. Les maîtres eux-mêmes, en obéissant sur ce point à un principe commun, ont tellement varié les modes d’application, que leurs exemples doivent être envisagés comme des recommandations générales ou des symptômes plutôt que comme des formules fixes. Ce que l’on peut dire seulement, c’est que, malgré la diversité des méthodes et des écoles, les portraits qu’ont laissés les maîtres témoignent tous d’une ferme volonté de subordonner au relief du visage humain l’éclat ou la précision des morceaux environnans. Les peintres du XVIIIe siècle, en procédant quelquefois suivant le système contraire, ont commis une méprise que ne saurait racheter la finesse de leurs intentions ; ils ont méconnu, non par ignorance, mais par entraînement d’esprit, une loi essentielle de l’art.

Sous le règne de Louis XVI, les peintres de portrait commencèrent à se départir de ce goût excessif pour les épisodes et de ces habitudes d’analyse subtile. Déjà Greuze avait mis en faveur une manière, sinon moins recherchée au fond, du moins plus simple dans la forme, puisqu’elle n’employait comme moyens d’expression que le choix de l’attitude et la ressemblance des traits du visage. Peu ou point d’accessoires autour du personnage représenté, des ajustemens de couleur incertaine et débarrassés de ces mille enjolivemens que le pinceau détaillait naguère avec tant de complaisance ; un faire assez mou, mais non sans charme ; la grâce flottante et inachevée d’une ébauche voilant l’aspect du tableau, et donnant aux contours une apparence presque effacée, — voilà ce qui caractérise la méthode adoptée par Greuze dans la composition et dans l’exécution de ses portraits : méthode bien française, en ce sens qu’elle se distingue surtout par le tour ingénieux et l’élégance du style, mais en désaccord d’autre part avec les précédens de l’école, puisqu’elle tendait à remplacer ce besoin de tout expliquer, poussé parfois jusqu’à la définition prolixe, par une facilité un peu superficielle et une exactitude d’à peu près.

La manière plus attrayante que sérieuse dont Greuze venait de donner l’exemple, un autre talent aimable, Mme Lebrun, se chargea de la continuer, ou tout au moins d’en reproduire l’esprit sous des formes moins systématiquement indécises. Le portrait de Marie-Antoinette et de ses enfans, celui de l’Auteur et de sa fille, maintenant au musée du Louvre, et surtout un autre portrait de l’auteur que l’on voit dans la galerie des Offices, à Florence, prouvent assez que ce talent, tout en sacrifiant beaucoup à la grâce, se préoccupait aussi