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Vernet, qui figura au salon de 1804, il a fait preuve d’habileté ; mais le plus souvent il se fie, pour la fermeté ou la grâce du style, aux hasards de son pinceau, et l’on ne s’explique guère aujourd’hui l’importance attribuée à ce pâle talent qu’en se rappelant son extrême fécondité.

Parmi les peintres les plus considérables de l’époque, on n’en trouverait donc pas un que Gérard n’ait dépassé de beaucoup dans la voie où il était entré dès sa jeunesse. Cette voie, une expérience déjà longue lui permettait de la parcourir désormais sans hésitation ; mais ici la confiance même avait son danger, et le plus sûr eût été encore de regarder de temps à autre derrière soi pour s’assurer qu’on ne faisait pas fausse route. Gérard par malheur manqua de cette prudence vulgaire. Une fois en chemin, il ne songea plus qu’à précipiter sa marche, et, les applaudissemens de la foule saluant chacun de ses écarts comme un progrès nouveau, il se laissa entraîner si loin, que le temps et les forces lui firent faute lorsqu’il voulut revenir sur ses pas. Il nous reste à suivre Gérard dans cette seconde moitié de sa carrière et à noter les erreurs successives de ce talent, comme nous avons essayé de produire ses titres et de rétablir ses droits.


II

La première œuvre où Gérard se soit montré infidèle à son passé et à ses propres instincts, celle qui contient en germe les défauts que l’on verra se développer ouvertement ensuite est le tableau célèbre, mais, à notre avis, beaucoup trop vanté, de la Bataille d’Austerlitz. On ne saurait refuser ni le don de l’invention, ni la majesté du style au peintre du Bélisaire du Napoléon en costume impérial et de tant de portraits composés avec une véritable grandeur, Les quatre figures allégoriques destinées à encadrer la toile où il a représenté la Bataille d’Austerlitz suffiraient d’ailleurs pour prouver qu’il savait à l’occasion élargir sa manière. Cependant, la même où cette manière a le plus d’ampleur, elle laisse voir encore les qualités qui la distinguèrent d’abord ; le goût, pour être plus sévère, n’en demeure pas moins son inspiration principale et son caractère essentiel. Point de fougue, mais une rare clairvoyance, point d’élans de génie, mais des intentions profondément judicieuses, telles sont les habitudes morales et comme la raison d’être de ce talent. En abordant un sujet où l’énergie et la verve devenaient des conditions indispensables, il courait donc grand risque de se four voyer et de s’user en vains efforts dans une entreprise contraire à ses dispositions naturelles. C’est à peu près ce qui arriva. À ne considérer que l’ordonnance des lignes et l’adresse des combinaisons