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le Nil à sa naissance. On a lieu de compter d’ailleurs sur le zèle intelligent que le chef de l’expédition portera dans ses recherches. Un ouvrage publié il y a trois ans par M. d’Escayrac de Laulure, le Désert et le Soudan, abonde en notions claires et précises sur les populations et la nature africaines. C’est avec une sorte de passion communicative pour les grandeurs de ces régions sauvages que M. d’Escayrac a parcouru une première fois l’Afrique, et cette passion l’animera sans doute encore dans sa nouvelle campagne. Les grands travaux géographiques qui vont se poursuivre dans l’Afrique orientale nous promettent donc d’importans résultats, et cela au moment même où le projet de percement de l’isthme de Suez appelle les regards des nations industrieuses et commerçantes de l’Europe sur les régions que cette partie de l’Afrique embrasse. Là cependant ne se bornent pas encore les explorations et les expéditions de toute sorte qui parcourent en tous sens et labourent pour ainsi dire au profit de la civilisation le sol rebelle de l’Afrique. Il faut ajouter à tous ces voyages cette admirable expédition dont deux membres sont tombés sans que le troisième, qui voyait la mort frapper ainsi ses deux compagnons, sentît faiblir un instant son courage. On sait que M. Barth a rapporté des documens du plus grand intérêt, que lui-même se prépare à publier. Quant à M. Livingston et à M. Andersson, ils ont traversé l’Afrique du sud à l’ouest après avoir exploré le N’gami et le bassin du Chobé, que l’on présume être le Haut-Zambèze.

La voilà donc envahie par les quatre points de l’horizon, cette Afrique si longtemps impénétrable. Elle nous fait retrouver, à nous hommes du XIXe siècle, quelques-unes des émotions que devaient ressentir nos pères, il y a trois cents ans, au récit des découvertes dont un monde jusqu’alors inconnu était devenu tout à coup le théâtre ; mais elle n’est pas un champ livré aux Pizarre, aux aventuriers sans frein et sans autre loi que leur cupidité et leur ambition. Des hommes éclairés, des missionnaires, parlent, les instrumens de la science ou l’Évangile à la main ; ils bravent des fatigues ou des dangers sans nombre. Quand la mort frappe dans leurs rangs, de nouveau-venus remplacent ceux qui tombent, et toute leur ambition, à ces généreux soldats de la science, c’est la satisfaction d’une noble curiosité, la conquête d’intelligences et d’âmes obscurcies par les ténèbres de la plus profonde barbarie ; c’est le désir d’ouvrir au commerce et à l’industrie des chemins nouveaux, c’est aussi l’espérance de faire participer un jour toute une race d’hommes longtemps maudits et misérables à ce bien-être, à cette amélioration sociale, à ce développement intellectuel que traduit et résume à lui seul le mot de civilisation.


ALFRED JACOBS.