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À ce bonheur suprême
Je n’ose ajouter foi,


dont l’allegro n’est pas digne de l’andante et rappelle trop les concetti rossiniens. La sicilienne et le chœur qui s’y rattache annoncent très bien l’arrivée d’Alphonse, le fiancé de Camille, dont l’air,


Mes bons amis,
Partagez mon ivresse !


est très bien écrit pour la voix de ténor. Quant à la complainte que chante Camille, et que M. Berlioz a qualifiée de niaiserie, c’est un chef-d’œuvre de sentiment et de piété où l’on sent circuler la foi naïve de la légende merveilleuse :


D’une haute naissance,
Belle comme à seize ans,
Alice, dans Florence,
Charmait tous les amans.


Heureux les poètes et les musiciens qui trouvent une pareille niaiserie dans leur vie ! Ils n’iront peut-être pas à l’Institut, mais à la postérité. Le trio qui suit la ballade est un morceau habilement conçu pour la scène, et dans lequel le caractère poltron de Dandolo est mis en relief avec une souplesse de talent qui n’abandonne jamais Hérold. Le trio est effacé par l’admirable quatuor qui lui succède,


Le voilà ! que mon âme est émue !…


écrit pour deux voix de ténor, un soprano et un mezzo-soprano. Ce quatuor, où chaque personnage commence par répéter tour à tour la même phrase, ce qui forme une espèce de labyrinthe harmonique qu’on appelle un canon dans les écoles, est un procédé que Rossini a souvent employé de nos jours Au commencement du XVIIIe siècle, cette forme musicale était encore plus usitée. Aucun compositeur français n’a réussi comme Hérold à dessiner un caractère dans un morceau d’ensemble sans jamais tomber dans la bizarrerie, en conservant toujours une harmonie exquise qui circule librement sans distraire l’oreille par des dessins trop ingénieux. Tel est aussi le grand mérite du beau quatuor que nous analysons, où la poltronnerie de Dandolo est vivement accusée par un rhythme particulier, un douze-huit dont les triolets marquent des pulsations progressives qui excitent la gaieté sans nuire à l’émotion. C’est à de tels signes qu’on reconnaît les maîtres. Le finale du premier acte de Zampa suffirait à lui seul pour classer un compositeur. Il est divisé en six épisodes qui se terminent par une strette des plus vigoureuses. Zampa et ses compagnons sont entrés dans le beau château du riche Lugano, qu’ils ont fait prisonnier. Les pirates prennent bruyamment possession du somptueux logis en se louant de l’habileté de leur chef, qui ordonne aussitôt qu’on lui serve le souper qu’il a déjà commandé. Un changement de tonalité et de rhythme annonce le festin ; Zampa, assis au milieu de ses compagnons, célèbre la poésie de son existence orageuse :