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Nous félicitons le gouvernement et la Banque de France de n’avoir pas cédé aux influences qui patronnaient un si monstrueux expédient, et de n’avoir eu recours qu’aux mesures sanctionnées chez tous les peuples par l’expérience du crédit. Partout les effets du cours forcé ont été les mêmes. Les Anglais, qui les ont éprouvés avec le moins de dommage, en ont étudié l’action, et en ont dénoncé les dangers avec une autorité scientifique et pratique victorieuse. C’est en luttant contre la suspension des paiemens en espèces que Horner fonda sa réputation parlementaire ; c’est en analysant les effets de la circulation fiduciaire inconvertible, en combattant la fausseté de ce système avec une logique infaillible, que Ricardo se révéla comme le plus profond des économistes ; c’est en restaurant la circulation métallique dans son pays que sir Robert Peel ouvrit sa carrière de grand financier et d’homme d’état économiste. Chez les Anglais, c’est une question irrévocablement jugée ; l’idée d’une circulation inconvertible n’a d’asile que dans quelques tôles fêlées, et ne reste plus que le hobby-horse de quelques radoteurs incorrigibles. Nous rougissons pour la France qu’elle ait pu être mise un seul moment en question.

Nous admettons qu’il est des circonstances extrêmes où la suspension des paiemens en espèces s’impose comme une nécessité inévitable, mais c’est lorsque des crises politiques viennent violemment interrompre le jeu naturel des lois commerciales, lorsque, paralysées par ces crises, les banques ne peuvent plus alimenter leurs ressources, et sont dans l’impuissance de continuer leurs paiemens. C’eût été créer le mal, au lieu de le combattre, que de traiter la Banque de France comme si elle eût été réduite à un pareil état. Outre les sommes considérables qu’elle possédait encore dans sa réserve, la Banque, pour faire face à ses obligations, devait appliquer d’abord les mesures que prescrivent les lois naturelles du crédit. La crise résultant de l’insuffisance de l’offre par rapport à la demande des capitaux, elle devait élever létaux de l’escompte au niveau du loyer actuel des capitaux ; la crise se traduisant par des exportations de numéraire qu’on venait prendre dans ses caisses, elle devait élever le taux de l’escompte pour décourager les opérations de change auxquelles une différence d’intérêt aurait pu donner lieu, elle devait l’élever encore pour faire baisser le prix des valeurs et des marchandises, et pour ramener dans la circulation le capital métallique en lui ouvrant des placemens plus avantageux ; la crise actuelle, exagérée par la panique, ayant poussé une certaine classe de détenteurs timides de billets de banque à venir en demander le remboursement, elle devait reconquérir la confiance des plus récalcilrans et démentir d’alarmantes rumeurs en recomposant, par des achats de métaux à l’étranger, son encaisse entamé. La Banque a fait tout cela, et rien que cela, avec la sanction du gouvernement, et nous sommes sûrs que sa persévérance dans le même système lui suffira pour surmonter ces embarras passagers. Déjà le rapport de M. Magne, en exposant la situation du trésor et en apprenant au public la résolution où est le gouvernement de ne point recourir aux dangereux expédiens mis en avant par les spéculateurs, avait rassuré l’opinion. On signale un temps d’arrêt et peut-être une embellie dans la crise allemande qui a fait éclater la nôtre. On assure que depuis quelques jours les saignées de numéraire ont cessé à la Banque, et que l’encaisse s’accroît au lieu de di-