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toire pendant ces dernières années du XVIIIe siècle où respire un si puissant et si triste intérêt. On pouvait donc rencontrer parmi ces documens quelques lumières nouvelles sur la société des dernières années de l’ancien régime. Le célèbre historien suédois Geijer, chargé par son gouvernement d’examiner cette collection, avait publié, il est vrai, un compte-rendu de son examen; mais son livre, s’occupant avant tout de l’histoire intérieure de la Suède, rendait seulement plus désirable l’étude particulière qu’en pourrait faire un Français.

Envoyé moi-même en mission pendant l’été de 1854 avec le but spécial de rechercher en Suède les documens manuscrits intéressant l’histoire ou la littérature de la France, j’arrivai au commencement d’août à Upsal, émerveillé des richesses que j’avais déjà rencontrées à Stockholm, ainsi qu’à Skokloster, dans le magnifique château de Mme la comtesse de Brahé. Dès le premier examen, j’avisai, parmi l’immense collection de ces Papiers de Gustave III, un volume in-quarto qui portait ce titre séduisant : Lettres de dames étrangères. De même qu’à Skokloster j’avais eu d’émouvantes surprises, trouvant dans ces liasses couvertes de poussière là soixante-douze lettres de Turenne, ailleurs quinze lettres de Duquesne, sans compter celles de nos rois, — de même ici, et plus facilement encore, le volume ouvert, je reconnus des lettres écrites à Gustave III par quelques unes des plus spirituelles parmi les grandes dames du XVIIIe siècle, et, pendant une centaine de pages environ, l’écriture de Mme de Staël.

Il est assurément peu de noms plus populaires pour notre génération que celui de la femme éminente dont la puissante et généreuse inspiration, s’élevant entre les dernières années du XVIIIe siècle, si orageuses, et les premières du XIXe, toutes captivées par la gloire militaire, a guidé au milieu de tant d’agitations diverses l’esprit français, et l’a su conduire de l’extase imparfaite et malsaine de Jean-Jacques Rousseau au spiritualisme chrétien de M. de Chateaubriand. Pourtant combien les biographies de Mme de Staël ne sont-elles pas incomplètes! Depuis le moment où elle quitte la maison de son père jusqu’au commencement de son exil environ, tout au moins jusqu’au milieu de la révolution, de sa vingtième à sa vingt-cinquième année, c’est-à-dire pendant la période où le spectacle du dernier éclat de l’ancien régime et des premières convulsions du temps nouveau a dû tremper et fortifier son talent, que savons-nous d’elle? M. de Staël, l’ambassadeur de Suède, son premier mari, ne paraît pas, il est vrai, avoir exercé personnellement sur son esprit une influence visible, mais l’importante position que cette alliance lui a faite mérite qu’on en tienne compte : il n’est pas indifférent de savoir quelle part eut son cœur dans ce principal événement de sa vie intime