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de ce qu’il dit des mésaventures de son premier volume et de son propre désespoir. Il n’y a point trace dans sa correspondance de son projet de quitter l’Angleterre. On remarquera en outre une contradiction manifeste dans son récit : en admettant que l’Histoire des Stuarts se fût moins vendue à Londres qu’en Écosse, où elle était publiée, on ne comprendrait pas qu’il se fût fait autant de bruit autour d’un livre qui ne se vendait et ne se lisait point.

Quant au concert de plaintes que tous les partis firent entendre contre son livre, Hume devait être le dernier à s’en étonner, et on doit croire qu’il jouait la surprise. Il avait compté, pour éveiller la curiosité publique, sur les applications possibles de l’histoire des Stuarts à l’époque où il écrivait et sur l’importance que les questions qu’il touchait conservaient encore pour les divers partis. Malheureusement cet avantage cachait un danger. Un livre qui mettait en jeu la passion politique ne pouvait être lu avec calme. Whigs et tories dataient également du temps des Stuarts; le jugement à porter sur les grands faits de cette époque était le champ de bataille obligé des deux partis; tous deux devaient chercher uniquement dans le livre de Hume des argumens à l’appui de leur cause et répudier l’écrivain qui n’épousait pas complètement leur querelle. N’oublions pas que le premier volume de Hume parut en 1754, c’est-à-dire six ans à peine après la célèbre tentative de Charles-Edouard, alors que la dynastie de Hanovre tremblait encore sur son trône mal affermi, quand une moitié de l’Écosse était en deuil, quand les prisons étaient pleines et que les arrêts de proscription se succédaient tous les jours, quand au sein même des familles la passion politique créait des inimitiés implacables. Pour le tory, Charles Ier était encore un martyr; pour le whig, c’était un grand coupable justement puni de ses crimes. C’était trop demander de la nature humaine que d’espérer à un pareil moment réunir tous les suffrages en ne flattant personne, et rallier à un jugement équitable des opinions si irréconciliables. L’impartialité pouvait sourire à un esprit calme et froid comme celui de Hume, qui, dégagé de tout intérêt et libre de toute passion politique, envisageait le passé avec le coup d’œil du moraliste et du philosophe; mais ce qui souriait à sa raison devait irriter et blesser les autres. Pour avoir essayé de tenir la balance égale entre Charles Ier et le parlement, Hume devait donner prise à l’accusation de jacobitisme : elle ne lui manqua pas.

L’histoire de Hume est demeurée classique en Angleterre, et elle méritait cet honneur. Les faits sont choisis avec discernement et groupés avec art; le récit est clair, rapide et plein d’intérêt; la diction est vive et nette, et d’une merveilleuse souplesse; elle allie tous les tons, depuis la simplicité élégante jusqu’à l’éloquence. Hume a su enchâsser dans son style avec un grand bonheur un certain nombre