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œuvres; mais il conserva jusqu’au bout ses habitudes studieuses, lisant et surtout relisant une grande partie de la journée. Il eut toutes les douceurs d’une heureuse vieillesse, car ses neveux, qu’il aimait comme ses enfans, répondirent dignement aux soins qu’il prenait de leur éducation, et il ne connut aucune de ces infirmités qui affligent et rendent souvent si pénible le déclin de la vie. Un an seulement avant de mourir, il éprouva les premiers symptômes du mal auquel il devait succomber : son extrême embonpoint disparut peu à peu et fit place à une maigreur excessive; ses forces s’affaiblirent graduellement, mais sans qu’il éprouvât aucune souffrance. Il put en quelque sorte calculer le jour où la vie lui manquerait, et il s’éteignit au printemps de 1776, au retour d’un voyage à Bath, sans avoir fait entendre une plainte, sans que sa gaieté, sa bonne humeur, son égalité d’âme se fussent un seul instant démenties, consolant tous ses proches et tous ses amis, et comme familiarisé de longue main avec la mort.

Par son testament, Hume donnait toute sa fortune à ses neveux; il léguait 200 livres à d’Alembert, autant à Ferguson et autant à Adam Smith, qu’il instituait son exécuteur testamentaire. Il laissait en même temps les instructions les plus précises et les plus péremptoires pour la publication aussi prompte que possible de ses Dialogues sur la religion naturelle. Cet ouvrage était composé depuis près de trente ans : les amis de Hume avaient mis à profit les tracasseries que lui avaient suscitées les fanatiques du clergé presbytérien et les tentatives faites à deux ou trois reprises pour le traduire devant les cours ecclésiastiques d’Ecosse; ils avaient obtenu de lui qu’il ne publiât pas ces Dialogues. Dans les dernières années de la vie de Hume, Blair et Smith insistèrent très vivement pour qu’il les supprimât tout à fait : Hume non-seulement s’y refusa, mais prit toutes les précautions nécessaires pour prévenir la suppression d’un ouvrage dont la pensée remontait aux jours de sa jeunesse, et pour en rendre la publication inévitable On retrouve là cette ténacité d’idées et cette fidélité à ses opinions qui étaient un des traits de son caractère. Il ne voulait point que le monde ignorât quels avaient été ses doutes ou ses convictions sur la plus grave question qui puisse occuper l’esprit humain : il voulait qu’on pût le juger lui-même en connaissance de cause et suivant ses mérites.

Dans un portrait anonyme qu’on suppose avoir été écrit ou revu par lui, se trouvent deux traits qui s’appliquent incontestablement à lui, et qui nous paraissent donner la clé de toute sa conduite. « Sa plume est hardie, dit le portrait, sa parole prudente, ses actions presque timides,» et un peu plus loin : « Philosophe et nul espoir d’arriver à la vérité. » Hume passe à bon droit pour un des écrivains