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Milly, dans l’entraînement de sa narration, s’était redressée, ses grands yeux noirs tout ouverts, ses bras robustes étendus en avant, et sa puissante poitrine bondissant sous la violence de son émotion. Elle ressemblait à une statue en marbre noir de Némésis dans un transport de fureur. Elle resta ainsi quelques minutes, puis ses muscles se détendirent, ses yeux s’adoucirent peu à peu, et elle regarda tendrement, mais gravement Nina.

« C’étaient d’affreuses paroles, enfant ; mais dans ce temps-là j’étais en Égypte, j’étais dans le désert de Sinaï. J’avais entendu le son de la trompette et le bruit des voix, mais je n’avais pas vu le Seigneur….. Je cherchais le Seigneur, je voulais lui dire : « Voyez ce que cette femme a fait… » Et le monde allait toujours de même, et ces chrétiens qui disaient tous qu’ils allaient au ciel se conduisaient toujours de même. Oh ! comme j’ai cherché le Seigneur ! que de nuits j’ai passées dans les bois, la face contre terre, à l’appeler, et il ne venait pas. »

Et Milly raconte qu’un jour elle va à une de ces réunions appelées camps meetings, où des missionnaires font des prédications en plein air. La nuit vient, on allume les feux, et elle entend un missionnaire raconter la passion, le chemin de la croix, le couronnement d’épines, la mort de Jésus-Christ, et elle se sent frappée par la grâce :

« C’est ainsi, dit-elle, que je fus vaincue par l’agneau, car si ç’avait été un lion, j’aurais résisté ; mais l’agneau fut le plus fort. Quand je revins à moi, j’étais comme un enfant. Je n’avais pas parlé à ma maîtresse depuis la mort d’Alfred. Elle était malade, dans sa chambre, et dépérissant, parce que son fils s’était enivré et l’avait maltraitée. Je lui dis : Miss Harriet, j’ai vu le Seigneur ; je vous pardonne, je vous aime de tout mon cœur, comme fait le Seigneur. — Oh ! mon bijou, il fallait voir cette femme pleurer… Après cela, il n’y eut plus rien de mauvais entre nous ; nous fûmes deux sœurs en Jésus-Christ. Elle portait mes peines, je portais les siennes. Et ces peines étaient lourdes, car un jour on lui rapporta le cadavre de son fils… Je me rappelai que j’avais autrefois demandé au Seigneur de lui rendre le double ; mais je ne pensais plus comme cela maintenant, et si j’avais pu rendre la vie au pauvre jeune homme, je l’aurais fait. Elle en mourut… Elle lutta encore longtemps, et toutes les nuits elle criait : Milly ! Milly ! reste avec moi. Je l’aimais comme mon âme ; enfin le Seigneur la délivra, et je couchai son corps comme si c’eût été celui d’un de mes enfans. Je pris sa pauvre main, elle était encore chaude, mais elle était sans vie, et je me dis : Est-il possible, pauvre être, que j’aie eu tant de haine contre toi ! « Ah ! mon enfant, il ne faut haïr personne ; Dieu nous aime tous ! »


Milly tient le même langage à Harry, qui est tourmenté du besoin de la vengeance. Tom Gordon, par un simple caprice, et comme exercice de son pouvoir absolu, vient de lui couper la figure à coups de cravache. En passant dans les bois, Harry a rencontré l’homme qui donne son nom à ce livre, le nègre proscrit, Dred. Milly l’engage à ne pas écouter le tentateur et à ne pas entretenir des projets de révolte. « Vois-tu, mon enfant, lui dit-elle, il faudrait traverser une mer de sang. Tu ne voudrais pas perdre miss Nina. Si cela com-