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dans un abîme de corruption et de scepticisme. En rappelant les faits principaux de l’époque, ce contraste deviendra plus sensible, et les causes se dessineront sous l’éclat même des effets.

Lorsque le royal élève de Mazarin prit les rênes du gouvernement, il ne rencontra devant lui aucune résistance. On peut dire qu’il vit ses plus hardis desseins accomplis aussitôt que formés, et que l’Europe s’inclina sous sa superbe volonté aussi facilement que la France. En proclamant l’identification de l’état avec sa personne, Louis XIV ne faisait que tirer une dernière conséquence des idées qui tendaient à prévaloir depuis un siècle, il ne faisait qu’achever l’œuvre de ses prédécesseurs. Après la ligue, et surtout après la fronde, la France était profondément découragée de la vanité de ses efforts pour conquérir et organiser un régime de garanties politiques, découragement qui, tout malheureux qu’il fût en lui-même, se comprend fort bien d’ailleurs, puisque ces efforts n’avaient jamais abouti qu’à servir, aux dépens de l’indépendance nationale, d’égoïstes cupidités. La bourgeoisie, qui avait été l’âme de la ligue, l’aristocratie, qui avait imaginé la fronde pour y chercher des profits et des distractions, ne surent faire sortir de cette double crise la consécration d’aucun principe destiné à sauvegarder les droits des générations à venir; ni l’une ni l’autre n’hésita à solliciter le secours des Espagnols, au risque de rencontrer dans ceux-ci des maîtres plutôt que des auxiliaires. Ce fut surtout par cette disposition constante à provoquer l’intervention étrangère que les diverses factions se perdirent en France, et qu’elles y rendirent le peuple profondément et à toujours monarchique. Celui-ci comprit en effet, avec son admirable instinct, que dans ce déchaînement de passions imprévoyantes ou cupides la vieille royauté de Hugues Capet et de saint Louis, de Charles V et de Louis XI, avait seule la force et la volonté de préserver l’unité territoriale, qui avait été son honneur et son ouvrage.

Jamais la nation n’eut la conscience de ce service aussi complètement qu’après les tristes avortemens qui signalèrent la minorité de Louis XIV. En abdiquant alors la liberté dont elle avait embrassé l’ombre, la France se rejeta dans la dictature avec un entraînement irrésistible, ne conservant plus qu’une seule pensée, celle de rendre cette abdication féconde et cette dictature glorieuse. Ainsi Louis XIV tira sa principale force des souvenirs de la fronde, qui durant trente années pesèrent à beaucoup de ses contemporains comme un remords et à tous comme une honte et comme un péril.

Tandis que le mouvement naturel des idées et des choses mettait le royaume à la merci du jeune monarque, l’état des cabinets étrangers était tel qu’aucune résistance ne fut possible devant l’élan de