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et Chapelain, Racan et Scudéry étaient de méchans écrivains; mais l’importance du rôle attribué à ces beaux esprits, les longs débats que provoquaient les plus tristes sonnets ou les plus médiocres romans, imprimèrent à l’esprit national une impulsion qui porta bientôt après d’admirables fruits, et ce sont ces usurpateurs de renommée qui ont suscité nos plus grands hommes.

Il n’en fut guère autrement dans l’ordre politique. Une crise qui commença par l’apothéose du vieux Broussel pour finir par les compromis pécuniaires du cardinal Mazarin peut à bon droit n’être pas prise au sérieux par la postérité; mais cette crise imprima cependant à tous les esprits une impulsion qu’aucune autre n’a surpassée. Pendant qu’elle faisait agiter dans les carrefours les plus hardis problèmes, elle ouvrait devant tous les ambitieux, depuis le magistrat sur son siège jusqu’au général à la tête des armées, des perspectives éclatantes. La fronde remua toutes les idées en même temps que toutes les passions, et si elle trompa les espérances de la nation, ce ne fut pas sans en avoir labouré profondément toutes les couches. Peut-être la nature, dans la mystérieuse économie de ses lois, ne fait-elle d’ailleurs naître les grands hommes que de pères fortement trempés par les luttes de la vie : la génération qui s’épanouit avec tant d’éclat après la ligue parut en effet avoir hérité d’une sorte de virilité religieuse, à laquelle elle joignit pour son propre compte le culte de l’esprit dans ses plus exquises délicatesses.

Le génie politique et militaire se développa sous le souffle puissant qui animait les lettres. Turenne et Condé, Colbert et Lyonne ne portèrent pas à un moindre degré que nos grands écrivains ce cachet de maturité dans l’abondance et de bon sens dans le génie qu’un merveilleux concours de circonstances avait préparé depuis deux siècles. Les agitations de l’état et celles de l’intelligence humaine durant la minorité de Louis XIV eurent donc ce rare privilège de tout féconder, même en demeurant stériles. Ce fut en vivant de la vie ardente des partis et en courant tous les hasards que les ministres et les généraux de la première époque de Louis XIV acquirent sur tous les généraux européens cette supériorité qui fit la fortune du règne, fortune viagère comme leur génie, et qui changea soudainement lorsque d’autres hommes, élevés dans une atmosphère différente, eurent pris la direction des affaires publiques.

Dès l’année 1690, qui signale les premières difficultés rencontrées par le roi dans ses conceptions politiques et ses opérations militaires, tous ces illustres personnages avaient cessé d’être à la tête de son armée et dans ses conseils, et Louvois lui-même était à la veille de disparaître. Le seul heureux désormais entre les généraux de