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France; cette idée fut le moule dans lequel Louis XIV avait jeté la génération qui allait lui survivre. Jamais épreuve ne fut plus solennelle, et jamais non plus elle ne s’opéra dans un milieu plus favorable, car l’idée-mère du règne était acceptée par tout le monde, et il ne se rencontra en aucun siècle de prince plus convaincu de son droit et plus désireux d’en bien user, plus servi par la fortune et mieux cloué par la nature. Louis XIV demeura grand longtemps après que son règne eut perdu toutes ses grandeurs, sa personnalité paraissant encore combler le vide que son système de gouvernement avait fait autour de lui. Celle-ci ne fléchit jamais ni sous l’entraînement des plaisirs ni sous le poids du malheur; elle ne se transforma ni avec l’âge, ni avec la santé, ni avec la fortune; il fut aussi calme et aussi fier devant la mort que devant la gloire.

Doué d’un tempérament robuste que n’épuisèrent ni les excès de la jeunesse ni les fatigues de la guerre et du travail, ce prince eut dans ses habitudes plus de persévérance encore que dans ses maximes, et ses rapports avec ses ministres comme avec ses courtisans demeurèrent sur le même pied du premier au dernier jour de son règne. Cette vie, à laquelle était suspendue celle de tout un peuple, avait une régularité monotone et presque mécanique. Jusque dans les plus minutieux détails, Louis XIV se dispensait moins encore des devoirs personnels qu’il n’en dispensait les autres. Dans les Mémoires de l’abbé de Choisy, les Lettres de Mme de Sévigné et les autres monumens de la première époque, son existence n’est guère différente de ce qu’elle nous apparaît dans les écrits de Saint-Simon, de Dangeau, et dans les lettres de Mme de Maintenon, qui commencent aux approches de la vieillesse royale. L’amant de la duchesse de La Vallière et de la marquise de Montespan subit sans doute vers 1685, quand la mort de la reine lui permit de contracter des liens légitimes, une transformation morale profonde, et lorsque quelques années plus tard Louis XIV, cessant de paraître à la tête de ses armées, s’enferma dans un palais que tous les coups du sort allaient bientôt frapper, cet horizon, naguère si brillant, dut se teindre et se voiler de tristesse; mais le coloris du tableau change avec les années sans que les traits principaux soient altérés; le programme de la cour se modifie bien moins que la politique du règne. C’est toujours la même activité dans le même cercle, la même stérilité dans un labeur incessant, la même dépense de forces pour ne rien embrasser et ne rien connaître au-delà du monde artificiel qu’on s’est fait et dans lequel on se claquemure. Levé vers huit heures, le roi s’habille en public, s’enferme avec ses ministres jusqu’à midi et demi, sort en cortège de ses appartemens pour assister à la messe et dîne en présence de sa cour immobile, dont son œil voit et compte jusqu’aux personnes les plus obscures. A l’issue du