Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rer quelque chose par soi-même en présence de celui qui était tout. Ce fut d’abord à sa famille qu’il fit l’application de cette théorie de l’effacement commune à tous les despotismes, et qui consiste à supprimer les forces pour prévenir les résistances. Jamais la maison royale ne tint moins de place que sous Louis XIV, car ses membres perdirent à peu près complètement dans la seconde partie de ce règne la plus belle prérogative des gentilshommes, celle de verser leur sang pour la France. Le roi éprouvait des répugnances presque invincibles à leur permettre de paraître à la tête de ses armées après qu’il eut cessé de s’y montrer lui-même. Élevé par le cardinal Mazarin dans la pensée alors fort naturelle de prévenir le retour des complications du règne précédent, le premier soin de Louis XIV fut d’ôter toute influence, pour ne pas dire toute considération, aux princes du sang. Cette préoccupation se révèle à toutes les pages de ses conseils au dauphin, où il établit que a les fils de France ne doivent jamais, pour la sûreté de l’état, avoir d’autre retraite que la cour et le cœur de leur aîné[1]. »

Monsieur, doué d’une valeur brillante, acheva dans les mœurs de l’Orient une vie que la politique de son frère rendit infâme lorsqu’il ne voulait que la rendre inutile. Le duc d’Orléans, son fils, excusa tous ses désordres par l’union humiliante imposée à sa jeunesse et par l’oisiveté dans laquelle la volonté royale avait laissé se pervertir d’admirables facultés. Le prince de Conti, qui dans les champs de la Hongrie avait retrouvé les traditions héroïques de sa race, inspira toujours à Louis XIV des antipathies qui s’étendirent aux divers rejetons de sa branche. La qualité de prince du sang était devenue un titre d’exclusion pour tout emploi militaire, comme pour toute influence à la cour. Les légitimés seuls voguaient à pleines voiles vers la fortune, parce que la royauté n’avait pas à les craindre dans leur néant, et que leurs insolentes grandeurs les transformaient au contraire en témoins vivans de sa toute-puissance.

Un tel système ne pouvait manquer de porter partout ses fruits. Louis XIV le pressentit dans les angoisses de ses derniers jours, lorsque sa main mourante bénit le dernier rejeton de sa race. Il laissait en effet son trône en l’air au milieu d’une famille divisée contre elle-même et sans prestige dans l’opinion, race militaire que les camps ne connaissaient plus et qui avait dû passer sa jeunesse à ménager Mme de Maintenon ou Mlle Chouin, réputées dispensatrices de toutes les fortunes dans le présent ou dans l’avenir. Aucune force ne protégeait plus cette royauté symbolisée par un berceau et qui semblait finir avec le roi lui-même, de telle sorte que lorsque la main de la mort se fut appesantie sur toute la descendance légitime de

  1. Mémoires du roi Louis XIV, année 1666, tome Ier.