une rupture complète. La rupture peut conduire à un éclat, et si l’éclat n’est point sans dangers pour l’Europe, il est plus dangereux encore assurément pour le roi Ferdinand II. La résistance obstinée du gouvernement napolitain peut contraindre la France à prendre un rôle plus actif là où elle aurait voulu rester modératrice.
C’est là un des côtés de la situation de l’Europe. Ici la France et l’Angleterre agissent en commun. En est-il de même en Orient, dans toutes ces questions qui touchent à l’exécution du traité de paix avec la Russie ? Voilà plus de six mois que la paix a été conclue ; des commissions ont été nommées pour régler les difficultés secondaires laissées en suspens par le congrès ; des communications incessantes ont eu lieu entre les gouvernemens. Une seule chose semble démontrée jusqu’ici, c’est que plus on va, plus la confusion s’accroît. Nous assistons pour le moment à l’une des plus curieuses phases diplomatiques des affaires d’Orient. C’est une mêlée d’efforts contraires, un fractionnement de toutes les politiques, une campagne indépendante et singulièrement désordonnée de toutes les fantaisies, ou pour mieux dire de tous les intérêts. De quoi s’agit-il donc ? Il y a deux jours à peine, expirait le délai de six mois laissé à toutes les forces étrangères pour quitter le territoire de la Turquie et pour effacer la dernière trace de la guerre ; mais d’une part la Russie a élevé des contestations relativement à l’exécution pratique de certaines clauses du traité de paix, notamment au sujet de la possession de l’île des Serpens et de la rectification des frontières de la Bessarabie : ces contestations ont suspendu l’œuvre de la délimitation. D’un autre côté, l’Autriche se fondant sur ce que la Russie ne remplit pas ses engagemens et se retranche dans des subterfuges inacceptables, l’Autriche à son tour refuse de se retirer des principautés tant que le cabinet de Pétersbourg n’aura point renoncé à ses prétentions sur l’île des Serpens et sur la ville de Bolgrad. Le gouvernement autrichien a certes déployé depuis deux ans une souplesse et une obstination qui n’ont point été sans succès. Si dans la lutte qui a partagé l’Europe il a fait, comme on le dit, des sacrifices dont il ne veut pas perdre le fruit, on conviendra qu’il a prudemment ménagé ses forces, qu’il n’a point été le premier à se porter à la défense de l’intérêt européen, et si quelqu’un a réussi à faire sa part de butin en se risquant le moins possible, c’est à coup sûr le cabinet de Vienne. L’Autriche s’est vengée terriblement du secours que lui avait donné l’empereur Nicolas, elle a contribué, pour sa part, à éloigner la Russie du Bas-Danube, à briser le protectorat des tsars dans la Moldavie et la Valachie ; elle a obtenu tous ces avantages, très réels, très personnels pour elle, sans compromettre ses soldats dans une escarmouche, sans tirer un coup de fusil, même pour retenir les Russes qui allaient se battre en Crimée. Cependant à la fin de tout il se trouve que les puissances qui ont porté le poids de la guerre ont rappelé leurs armées depuis trois mois, tandis que l’Autriche est dans les principautés et refuse d’en sortir.
Quels sont les prétextes invoqués par le cabinet de Vienne en présence des dispositions impératives du traité de paix, qui place désormais les principautés sous la protection collective de l’Europe, qui interdit toute ingérence particulière et prescrit dans un délai déterminé la retraite de toutes les troupes étrangères ? De prétexte de droit, il ne peut pas y en avoir. Ni la convention de 1854 entre l’Autriche et la Turquie, ni le traité général signé