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quai à Galveston pour me rendre par le golfe du Mexique à Brownsville, ma future résidence, située sur le Rio-Grande et non loin de son embouchure.

La mission que je venais d’accepter était très étendue. Autour de Brownsville, sur un rayon de soixante milles, habitait une population très compacte, et à trois cents milles au nord il y avait plusieurs villes, plusieurs établissemens considérables que je devais visiter : je n’avais pas à m’écarter du fleuve, mais je devais le remonter aussi loin que possible. Ce n’étaient plus, comme dans ma première mission, les Allemands et les Alsaciens qui formaient la majorité des catholiques confiés à mes soins ; j’avais surtout affaire aux Mexicains, qui composent le fond de la population sur ce sol annexé récemment aux états de l’Union. Dans ma première mission, les vices que j’avais eu à combattre étaient principalement la cupidité, la méchanceté, l’ivrognerie ; dans la seconde, j’allais me trouver au milieu d’hommes ignorans, superstitieux, nonchalans, enclins à l’immoralité. Je n’aurais plus l’indigence et la famine pour compagnes inséparables ; mais à chaque instant mon cœur devait se briser à la vue des vices et de l’indifférence incurable de mes nouveaux paroissiens. Que de peine pour jeter dans ces âmes, je ne dirai pas des élémens religieux, mais seulement un peu d’ordre, de raison et de morale ! Je savais cependant qu’ils étaient doux, débonnaires, faciles à persuader, et j’entrepris ma tâche avec courage. J’avais d’abord à les connaître, à étudier leurs mœurs, puis à les guider par des conseils, et, s’il se pouvait, par de bons exemples.


I.

Le bateau qui m’amenait de Galveston nous débarqua dans une île. Les côtes du Texas sont protégées sur toute leur étendue par une ceinture non interrompue d’îles sablonneuses très étroites et de longueur inégale, et comme entre elles et le littoral la mer est très peu profonde, les navires sont obligés de s’y arrêter ; le transport des passagers et des marchandises sur le continent se fait par des chaloupes et des bateaux légers. C’est à Point-Isabella qu’on aborde, ville maussade où l’on ne voit que des arrieros ou charretiers mexicains, dont les grossiers véhicules, traînés par des bœufs, attendent les marchandises pour les transporter à Brownsville. Deux voitures attelées de quatre chevaux étaient destinées aux voyageurs. La route de Point-Isabella à Brownsville traverse plusieurs endroits devenus célèbres par les succès du général Taylor sur les troupes mexicaines : un de mes compagnons de voyage, le directeur de la banque de Brownsville, me les indiqua. C’était un homme d’un esprit remar-