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milliers de pensées rapides comme l’éclair, de trouver notre route dans ce dédale du caractère anglais. Si nombreuses que soient les voûtes, les cavernes, les passages secrets, un plan cependant a présidé à cette architecture morale compliquée, un plan simple à l’origine, et que les événemens, le cours du temps, les caprices et les passions des hommes ont surchargé, augmenté, embelli ou faussé. C’est ce plan primitif qu’il s’agit de découvrir.

Ici se présente de nouveau cette question : le caractère d’un peuple est-il préexistant à sa civilisation, ou se forme-t-il à mesure que cette civilisation se déroule ? En d’autres termes, l’histoire d’un peuple est-elle le développement constant, logique de cet esprit rudimentaire si profondément caché dans les mystères de l’organisme humain, du sang et de la race, et plus profondément caché encore dans les secrets desseins de la Providence divine, par laquelle toutes les destinées des peuples furent à l’avance réglées ? Voyons si nous pourrons retrouver cette semence de l’âme anglaise ; Emerson va nous aider dans cette recherche.


« Le Heimskringla ou les sagas des rois de Norvège recueillies par Snorro Sturleson sont l’Iliade et l’Odyssée de l’histoire anglaise. Les portraits des rois norvégiens, comme ceux d’Homère, sont vigoureusement tranchés et empreints d’une forte individualité. Les sagas nous décrivent une république monarchique comme celle de Sparte. Le gouvernement disparaît devant l’importance des citoyens. Il n’y a pas en Norvège des masses asiatiques et persanes qui combattent et périssent pour agrandir un roi. Les acteurs sont des possesseurs de terres, des fermiers, dont chacun est nommé et décrit personnellement comme étant l’ami et le compagnon du roi. Une population très limitée confère à chaque individu cette haute importance. Les individus sont souvent décrits comme étant des personnes extrêmement belles, trait qui rapproche encore davantage cette vieille histoire de la moderne race anglaise. Chez eux prédomine le solide intérêt matériel, si cher à l’intelligence anglaise, et qui est pour elle comme le lien logique qui associe l’idée de mérite au fait de la possession territoriale. Les héros des sagas ne sont pas les chevaliers de l’Europe méridionale. Aucune vapeur de la France ou de l’Espagne ne les a corrompus. Ce sont de substantiels fermiers que la rigueur des temps force à défendre leurs propriétés. Ils ont des armes dont ils se servent non pour accomplir des actes chevaleresques, mais pour défendre leurs champs. Ce sont des hommes très avancés dans les arts de l’agriculture, vivant d’une manière amphibie sur une rude côte, et tirant leur nourriture à demi de la terre, à demi de la mer. Ils ont des troupeaux de vaches, de l’orge, du blé, du lard, du beurre et des fromages. Ils pèchent dans le fiord, ils chassent le daim. Le roi, parmi ces fermiers, a un pouvoir très variable, et qui quelquefois n’excède pas l’autorité d’un shérif. Le roi y est maintenu beaucoup à la façon dont les paysans de nos districts de campagne maintiennent chez eux le maître d’école ; pendant l’hiver, il vit ici une semaine, là une autre, passe dans la ferme voisine la quinzaine suivante, et ainsi de suite chez tous les fermiers tour à tour. C’est ce que le roi