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nement. Avec l’Anglais, cette compensation vous est refusée ; il vous faut avaler l’éloge de notre gigantesque commerce, de notre puissante marine, de notre immense crédit public ! Chaque jour, l’Angleterre se chante un dithyrambe à elle-même. « Nous sommes un grand peuple » est le refrain obligé de ses journalistes et de ses orateurs. Ce patriotisme pourrait à bon droit s’appeler parfois de l’insolence, s’il n’était exprimé avec une naïveté qui désarme. Emerson raconte à ce sujet qu’une dame anglaise sur le Rhin, entendant un Allemand désigner comme étrangers les voyageurs avec qui il se trouvait, s’écria : « Non, nous ne sommes pas étrangers, nous sommes Anglais ; c’est vous qui êtes des étrangers. » Décidément tous les peuples se valent en fait de sottise nationale : la Russie seule, malgré son esprit d’envahissement, avait fait exception ; mais depuis que, selon l’expression d’un de ses ministres, elle se recueille, il est impossible de dire quels résultats auront ses méditations.

« Nous ne sommes pas des étrangers, nous sommes des Anglais. » Le mot de cette dame anglaise peut nous faire rire ; cependant, tout ridicule qu’il est, il exprime un fait : les Anglais sont des citoyens du monde. Grâce au caractère particulier de leur patriotisme tel que nous l’avons expliqué, ils n’ont d’autre patrie que leur communauté d’origine. Swedenborg prétendait que l’homme était composé de petits hommes ; chaque Anglais est une petite Angleterre. Il emporte l’île tout entière en lui, avec ses préjugés, ses mœurs et ses institutions ; le missionnaire vend des culottes et du calicot aux sauvages ; le commerçant distribue des bibles et enseigne la parole de vérité. Le Français, en dehors de son pays, ne représente rien que lui-même, son caractère et ses goûts individuels ; l’Anglais représente toute une race ; il ne s’assimile pas aux autres peuples, il s’impose. Quand vous vous demanderez pourquoi l’Angleterre a échappé à ces révolutions subversives qui arment les classes les unes contre les autres, pensez à cette franc-maçonnerie du sang qui unit les plus pauvres mendians aux plus grands lords ; elle établit une unité de sentimens et une unité d’action autrement fortes que toutes les centralisations et toutes les machines administratives. L’orgueil de race efface toutes les distinctions et crée une fraternité indissoluble, pareille à celle de ces guerriers germains qui se-faisaient lier les uns aux autres pour vaincre ou pour mourir ensemble.

S’ils sont envahisseurs par nature et despotiques pour tout ce qui est en dehors d’eux, au moins ils ne le cachent pas, et ils l’avouent à visage découvert. Leur grande vertu est la véracité, cette qualité admirable des populations barbares de la Germanie. À cet amour même de la vérité est uni un sentiment pratique qui ressemble beaucoup à la véracité, le sentiment de la réalité. L’Anglais ne sait mentir d’aucune manière, ni par égoïsme, ni par imagination, ni par poli-