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II.

Au-delà des moteurs essentiels du gouvernement de l’Inde, commencent à fonctionner les forces secondaires, et d’abord le corps des agens civils, divisés en trois groupes, — les agens proprement dits (civil service), — les agens auxiliaires et agens natifs, — la police.

Les premiers débuts du service civil dans l’Inde furent aussi modestes que les débuts de l’honorable compagnie elle-même. L’idée de la conquête, l’ambition de faire passer sous le joug de l’Angleterre le vaste domaine du Grand-Mogol n’entrait dans aucun cerveau, quelque porté à l’aventure qu’il pût être, et les plans de la compagnie, l’énergie de ses serviteurs ne tendaient qu’à un but, exploiter et agrandir le champ des transactions commerciales. Ainsi au milieu du siècle dernier un gouverneur écrivait dans une dépêche d’adieu, où il résumait les travaux et les services de son administration, que lui et les siens n’avaient jamais cherché qu’à bien placer les marchandises de la compagnie, et que la gloire d’avoir fait de bons marchés avait suffi à son ambition et à celle des agens sous ses ordres.

Le pied modeste sur lequel était alors monté l’établissement de la compagnie dans l’Inde explique ces idées étroites. Il se composait d’un gouverneur à 300 roupies par mois, d’un conseil de neuf ou dix officiers touchant un moindre salaire, et d’un corps de jeunes marchands qui recevaient, pour peser du salpêtre et auner du drap, des gages variant de 19 à 180 roupies par mois. Chaque employé faisait alors le commerce non-seulement pour le compte de la compagnie, mais aussi pour le sien propre, et il est permis de croire que le trésor public n’était pas toujours admis à prendre part aux plus heureuses spéculations, lorsque l’on examine certains règlemens somptuaires de l’époque, par lesquels il est défendu aux jeunes employés de porter des habits brodés, de conduire des équipages à quatre chevaux et d’entretenir des bandes de musiciens.

L’apprenti (car les devoirs de sa profession ne permettent pas de donner au débutant d’autre titre) arrivait dans l’Inde à quinze ou seize ans; il recevait pour prix de ses premiers services un salaire de 16 roupies par mois et la jouissance d’un dustuck ou permis signé du gouverneur et du secrétaire du conseil. Toutes les marchandises couvertes par ce permis devaient, en vertu des usages établis, entrer dans l’intérieur sans acquitter de droits de douane; aussi l’exploitation de ce privilège formait-elle la part la plus importante du revenu des officiers civils de la compagnie. Dès leur début, pour mettre ce privilège à profit, ils s’associaient avec des banians qui leur fournissaient les fonds nécessaires, et au bout de quelques mois