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assaisonnés en intermèdes de verres de sherry et de pâtés aux huîtres, et vous avez décrit au physique et au moral, suivant la formule du roman anglais, la femme anglo-indienne, la bégum, si on peut emprunter cette expression au langage des clubs de Regent-Street. Nous ne contesterons pas la valeur des caractères de nababs et de nababesses du bon vieux temps, tels que Thackeray et mistress Gore les ont représentés, nous sommes même très porté à croire qu’ils ont été pris sur nature; mais ce que nous croyons pouvoir affirmer, c’est que le système de communications fréquentes et rapides qui relie aujourd’hui l’Inde et l’Europe a complètement modifié le genre de vie, les idées, les plans d’avenir des Anglo-Indiens, les Anglo-Indiens eux-mêmes.

Autrefois les officiers de la compagnie, en très grande majorité, acceptaient l’Inde comme une seconde patrie où ils devaient finir leurs jours; l’existence dans l’Inde était magnifique, et, malgré leurs gros traitemens, presque tous les employés civils se trouvaient profondément endettés. Les grandes villes de l’Inde, telle est la tradition du moins, pouvaient lutter, pour les agrémens sociaux, le luxe et les plaisirs, avec les capitales européennes. Aujourd’hui tout cela est changé, grâce à la facilité des communications avec l’Europe, qui entretient chez l’Anglo-Indien l’esprit de famille, l’idée du retour. L’Inde n’est plus qu’une terre d’exil au-delà de laquelle tout employé aperçoit l’Europe, les délices d’un bon climat, les charmes de la vie civilisée; chacun pense à économiser assez d’argent pour pouvoir venir au moins passer en Europe le temps de son furlough. Enfin il faut avoir vécu à Calcutta pour savoir combien la vie dans une grande et riche communauté anglaise peut être monotone et ennuyeuse.

Ce nouvel état de choses est-il entièrement favorable à l’efficience des services civils et militaires de l’Inde? Nous ne le croirions pas, s’il devait tendre à priver l’administration et l’armée du concours d’hommes d’expérience, versés dans les langages et les habitudes des populations natives. Heureusement pour la compagnie des Indes, les traitemens des employés civils, quelque magnifiques qu’ils soient, ne le sont pas assez pour permettre au plus grand nombre de quitter le service au temps réglementaire. Si les dépenses de la table, des chevaux et du jeu ont considérablement diminué dans l’existence anglo-indienne, il en est d’autres qui ont augmenté dans la même proportion. Au sortir du collège de Fort-William, la première pensée de l’assistant-magistrat est de prendre femme, et les dépenses de la famille, les voyages de la jeune épouse, qui préfère, et cela avec toute raison, le séjour de l’Angleterre à celui de l’Inde, les frais de l’éducation des enfans, tiennent et au-delà, sur le livre de dépense du civilian, la place qu’occupaient autrefois les vins de luxe, les courses et le whist. Gros traitemens de l’Inde, motifs de tant d’attaques et d’envie, vous donnez sans doute, sur le pied où toutes