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nécessité. Il est plus que probable en effet que si les choses fussent restées comme elles étaient aux jours qui suivirent la conquête, n’eût-on pas eu recours au moyen extrême de l’exclusion des natifs de tout emploi important, les premières années de ce siècle eussent été témoins de la fin de la domination anglaise dans l’Inde. Il y a toutefois dans le fait d’un pays gouverné par une poignée d’étrangers à l’exclusion des indigènes quelque chose de si anormal, un abus de la force si apparent, que dès 1792 les natifs avaient trouvé des défenseurs qui faisaient valoir dans le parlement leurs droits naturels à prendre part active dans l’administration des trois présidences. Cependant les périls de la situation, la fragilité des bases sur lesquelles reposait l’empire de l’Inde étaient trop connus des autorités suprêmes pour qu’elles pussent se laisser aller à une mesure, juste sans doute, mais pleine de dangers. On attendit sagement, pour faire entrer une part importante de l’élément natif dans l’administration de l’Inde, que le temps eût affermi l’édifice de la conquête. Ce progrès ne s’accomplit que lentement et peu à peu suivant les exigences du service. En 1792, les munsiffs ou juges natifs n’étaient appelés à juger que les affaires civiles dans lesquelles il ne s’agissait pas d’une somme de plus de 50 roupies. Les limites de la compétence des sudders ameen (munsiffs de 1re classe) furent étendues successivement aux affaires de 100, de 500 roupies, et enfin en 1827 une décision du gouvernement suprême soumit à leur juridiction les affaires d’une valeur de 1,000 roupies. Cette extension de pouvoirs accordée aux officiers indigènes de justice ne fut pas, il est vrai, suivie d’un accroissement proportionnel de leurs émolumens, qui demeurèrent dans les limites étroites que lord Cornwallis leur avait imposées. Il y avait là sans doute une injustice criante, un acte de parcimonie indigne d’un gouvernement éclairé : comment pouvait-on espérer que le juge natif ne succombât point aux tentations qui l’entouraient de toutes parts, lorsque son salaire était à peine suffisant pour le mettre au-dessus du besoin? Il était réservé à lord William Bentinck, à l’administration duquel se rattachent tant de réformes utiles, de mettre un terme à cet état de choses; en 1831, il promulgua une série de mesures ayant pour but d’associer les natifs à l’administration du pays et de mettre leurs émolumens sur un pied suffisant. La juridiction des munsiffs fut étendue, et leur traitement élevé; on créa le poste de principal sudder ameen, qui fut revêtu de toutes les attributions accordées précédemment au juge du service civil. Le poste de deputy collector fut institué en faveur des officiers natifs des finances. Enfin, dans presque toutes les branches du service, les salaires et les pouvoirs des employés indigènes furent considérablement augmentés. Depuis lors jusqu’à nos jours, cette politique libé-