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paix sans donner de gage pour cet emprunt? Ce moment-là sera critique pour lui... »


Ici comme dans les bulletins de Mme de Staël, en présence des troubles précurseurs de la révolution, les sinistres augures viennent se placer d’eux-mêmes, bien qu’un peu voilés, sous la plume de l’ambassadeur. De même que Mme de Staël, il se montre ému des questions religieuses, des atteintes à la liberté personnelle, des lettres de cachet, des prisons d’état, des abus depuis si longtemps accumulés, et de l’anxiété que de communs pressentimens ont répandue dans les esprits.


« On croit savoir, écrit-il en janvier 1788, que l’esprit de la reine s’est tourné depuis peu vers l’extrême dévotion. La cause en est, suivant les uns, dans les chagrins dont on l’a abreuvée pendant l’année dernière, dans les calomnies dont toute sa conduite a été l’objet, dans les vives appréhensions que l’agitation des basses classes a fait concevoir... Suivant les autres, ce serait un moyen pour regagner l’amour de la nation qu’on a perdu[1]... »

« Les fanatiques se donnent tout le mouvement imaginable pour empêcher l’enregistrement de l’édit du roi qui attribue les droits de citoyens aux non-catholiques. L’évêque de Dol, portant la parole pour les députés de Bretagne, osa sur ce sujet tenir vendredi dernier au roi un discours qui finit par ces mots : « Vous répondrez, sire, devant Dieu et devant les hommes des malheurs qu’entraînera le rétablissement des protestans. Madame Louise, du haut des deux où ses vertus l’ont placée, voit votre conduite et la désapprouve. » Le prélat a reçu l’ordre, très mérité, de se rendre immédiatement dans son diocèse. Ces tracasseries, l’état des finances, la désolation des manufactures ruinées par l’importation des denrées anglaises, tout cela rend la conjoncture actuelle obscure et pénible. »

« Les intendans, écrit-il encore en avril 1788, ont reçu ordre de se rendre dans leurs provinces. On travaille à l’imprimerie royale avec une grande activité, et toutes les avenues sont gardées afin d’empêcher que rien ne transpire dans le public... Il y a tout lieu de croire qu’on verra d’ici à quelque temps des changemens considérables. On dit que les parlemens s’occupent de faire leur testament entre les mains de la nation. »


Voilà assurément bien saisie et vivement décrite cette incroyable confusion des années qui précédèrent immédiatement la révolution. La disette, mais surtout le désordre épouvantable des finances, la ruine de toute autorité à la suite des excès du pouvoir absolu, la haine réciproque des différentes classes de la nation les unes contre les autres, ce sont bien les causes prochaines d’où la révolution est sortie, et la résistance des parlemens contre les dernières velléités de la royauté arbitraire a bien été la secrète ouverture par où ces causes ont produit leurs premiers effets. Il est vrai que M. de Staël et ses

  1. Apostille à la dépêche du 14 janvier 1788, en suédois.