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voir aux côtés de son ancien amant près de mourir, rivalisant de soins et de tendresses avec l’épouse légitime de ce malheureux, une noble figure que M. Lévi a eu le tort de trop laisser dans l’ombre. Par de tels repentirs, on se réhabilite moins qu’on ne souille les autres.

Si M. Lévi manque sous plus d’un rapport aux règles élémentaires du drame, s’il ne satisfait pas toujours notre goût, il parvient souvent à nous émouvoir. Il comprend surtout et rend bien tous les sentimens énergiques. Ainsi la vengeance et la vanité parlent un langage vrai par la bouche de ce Vincent Spéciale, assassin et forçat que la clémence intéressée de Ferdinand avait fait homme libre et juge suprême des vaincus. Ecoutons-le au moment où va comparaître devant lui le fils de sa victime, dont les justes poursuites l’avaient fait jadis envoyer au bagne :


« Seul avec Caraffa ! Que de souvenirs ce nom éveille en moi ! Il y a vingt ans, je me trouvai, seul aussi, avec son père. Il faisait nuit comme à présent, et mon poignard régla nos comptes... Maintenant je vais être seul avec son fils, et un mot de moi suffit pour lui ôter la vie ! Seul avec Caraffa ! Combien je l’ai désiré, ce moment! Que de fois je t’ai invoquée, ô vengeance, au milieu des angoisses d’un procès, des tourmens du cachot et du bagne! Lève-toi maintenant terrible et complète. Le comte Della Rua Caraffa est à mes pieds; que je fasse un signe, il n’est plus que poussière ! Mais un instant encore... Avant lui doivent disparaître les dernières traces du sang versé; lui-même il faut qu’il lave les taches dont m’a souillé le sang de son père. Il faut absolument que je les aie, ces papiers ! Une fois détruits, quelle différence y a-t-il entre moi et les autres hommes? Un peu d’eau et tout disparaît; il ne reste plus rien, pas la moindre tache rouge! Tout est muet, religieusement muet. Les morts ne parlent pas, non plus que mon cœur. Oh ! il me les faut, ces papiers!... Puis le père, le fils, les témoins, les preuves, les juges, le souvenir de ce temps, tout disparaîtra. Il ne restera plus que moi, moi Vincent Spéciale, juge suprême!... Speciale, Speciale..., que ne puis-je aussi changer de nom! Changer tout! effacer tout! Mais non; on dira Speciale et Nelson, Speciale et Ferdinand, comme on disait autrefois Spéciale et Panedigrana le galérien. Mettons notre nom là, dans l’histoire, là, près du trône. Qu’il reste comme une tache, mais qu’il reste! Comme une tache? Et pourquoi? Après tout, ce n’est pas moi qui ai violé la capitulation, ce n’est pas moi qui ai pendu Caracciolo ! Je me venge, j’obéis, je me défends. Mais ce Nelson, mais ce roi qui me donnent la main sur le seuil des galères! Ah! je m’élève, et vous vous abaissez! »


Un mot complétera la physionomie de ce caractère ; il peint bien l’homme et le pays. Speciale charge Duecce, ce Duecce qu’on a vu présider au jugement grotesque et horrible de frère Bennoni, d’aller à Castellamare et de jeter dans la poudrière un tison enflammé. « Oui, tout sautera en l’air, dit le lazzarone; mais moi, excellence? — Toi? le cardinal y a pourvu. Prends cette médaille; c’est celle