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combattre le flot! Gendre de M. Necker, il a partagé l’enthousiasme de sa femme pour cet homme d’état; il s’est rangé au nombre de ses plus ardens défenseurs; il a adopté tout son libéralisme. On peut suivre dans ses dépêches, où ils se trouvent racontés en détail, les différens épisodes de la carrière politique de M. Necker. Lorsqu’il triomphe, la France est sauvée; lorsqu’il tombe, c’est son bon génie qui l’abandonne.

Gustave III était loin de partager les nouvelles opinions de son ambassadeur. Disciple du XVIIIe siècle et de l’ancien régime, il voulait en être le chevalier. Nous avons dit quels liens étroits avaient uni Gustave III et la cour de France dès les dernières années du règne de Louis XV. L’affection sincère que le vieux roi lui avait témoignée, Gustave la voulait rendre à Louis XVI. La cour de Versailles et toute la société polie de la fin du XVIIIe siècle avaient été pour lui, grâce à des hommages flatteurs, comme un second royaume, comme une seconde patrie. Les maximes libérales que les esprits élevés du XVIIIe siècle et de la fin même du siècle précédent avaient professées sur les devoirs de la royauté et sur les égards dus aux sujets, Gustave les avait adoptées, il est vrai: comme tant d’autres, il s’était volontairement attelé au char de Voltaire, mais il ne prétendait pas pour cela faire bon marché de la puissance souveraine, qu’il avait au contraire relevée en Suède et affranchie de la tutelle des nobles. Quand les principes révolutionnaires se montrèrent au grand jour, loin d’y vouloir reconnaître les conséquences de ces maximes, il se constitua l’ennemi déclaré de la révolution et le défenseur de la famille royale de France[1].

Sans aucun doute, M. de Staël exécutait fidèlement les ordres du roi son maître; il communiquait avec Louis XVI et Marie-Antoinette, en janvier 1791, par l’entremise de M. de Lessart, celui des ministres ou commis de l’assemblée que le roi, dit-il dans ses dépêches, semblait préférer, et avec mesdames, tantes du roi, par M. de Narbonne, leur chevalier d’honneur; mais il est évident, par la seule

  1. Il est intéressant de suivre dans la correspondance officielle les progrès du dissentiment qui allait diviser si profondément le roi de Suède et son principal ambassadeur. On fait aisément cet examen en feuilletant les dépêches de M. de Staël conservées aux archives de Stockholm. Gustave III, sous la première impression de la lecture, y a ajouté des notes, quelquefois au crayon, pour indiquer aux bureaux des affaires étrangères les réponses, les avis, les directions à adresser à la légation de Paris. C’est ainsi qu’on voit d’abord, dès le milieu de 1789, Gustave III ne point s’associer à l’admiration qu’on lui exprime pour M. Necker. A la dépêche du 9 juillet de cette année, il ajoute en marge, de sa main : « Il faut demander au baron de Staël quel est le véritable plan de M. Necker, car je n’en vois pas d’autre encore que de briller en paraissant le modérateur du royaume, et cela aux dépens du roi et de la France. » — Quelque temps après, l’envoyé de France à Stockholm va être changé. Gustave III, avec son peu de goût pour le nouveau gouvernement, écrit en marge de la dépêche du 27 août 1789 : « Il faut recommander au baron de Staël que le successeur du marquis de Pons soit un homme tranquille et d’un certain âge, et surtout que ce ne soit ni un philosophe ni un élégant. » La défiance du roi ne tarde pas à s’étendre jusqu’à M. de Staël lui-même : « Le baron de Staël, écrit-il, est gendre de M. Necker et n’est peut-être pas impartial. Il faut mander au secrétaire de la légation qu’il rende compte chaque jour de ce qui se passe. » Cela n’empêchait pas Gustave III d’ajouter : « Vous chargerez le baron de Staël de faire mes excuses à sa femme si je n’ai pas encore répondu à sa lettre intéressante. » Il s’agit là d’une lettre écrite par Mme de Staël le 16 août 1789, fort intéressante en effet, inédite bien entendu comme les bulletins précédens, mais qui se retrouve heureusement dans la collection d’Upsal, et qu’on lira tout à l’heure.