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que inaperçue au milieu des événemens qui marquèrent la fin du XVIIIe siècle et le commencement du nôtre.

Cette navigation, Napoléon voulut la relever. Il prétendit la constituer sur des bases nouvelles, et de dominatrice exclusive qu’elle avait été, la rendre solidaire de la liberté universelle des mers. Ne choisissant plus ses alliances et devenue ville du royaume d’Italie, Venise fut destinée à être, avec Anvers, Cherbourg, Brest, Toulon, Gênes, Corfou, l’une des places d’armes de la ligue continentale qui se formait pour la conquête de ce droit d’égalité entre tous les pavillons auquel les Anglais ont eux-mêmes fini par souscrire. Napoléon envoya dans ce dessein nos plus habiles ingénieurs à Venise; ils relevèrent l’arsenal, et l’étendue en fut portée à 25 hectares, dont 11 de surface d’eau; les chantiers de construction reprirent leur ancienne activité; le matériel flottant fut rétabli, les fortifications furent complétées, et des projets d’avenir qui seront quelque jour consultés avec fruit furent étudiés. Malheureusement les observations qui furent recueillies sur l’atterrage mirent en évidence des vices qui n’étaient jusque-là que soupçonnés : il fut constaté qu’excellent pour les anciennes galères, il n’avait point la profondeur d’eau requise pour le flottage des vaisseaux de ligne, et que, hors des jours où le concours des vents du sud et des marées des syzygies exhausse le niveau des eaux dans le fond de l’Adriatique, les frégates elles-mêmes n’atteignaient le port qu’en s’allégeant de leur artillerie. Or il n’est de ports de guerre que ceux où les escadres manœuvrent avec sécurité, se déploient à l’aise pour l’attaque ou pour la défense, et se replient en ordre, quand il le faut, dans des abris sûrs. Ces conditions n’étaient point remplies par l’atterrage de Venise. Il fallut donc chercher une ligne plus militaire, et, sans se laisser séduire par les avantages d’une place qui ne peut être forcée ni par terre ni par mer, se résigner à faire de ces bassins, que d’invincibles difficultés naturelles condamnaient au désarmement, le port de commerce de la plus belle vallée du monde.

Un autre élément de puissance navale non moins nécessaire manquait d’ailleurs à Venise depuis qu’elle avait été dépouillée, au profit de l’Autriche, de ses provinces d’Istrie et de Dalmatie : elle n’était plus en état de fournir des équipages à ses flottes. De l’embouchure de l’Isonzo, limite de l’Italie, à Ravenne, la côte n’a d’autres matelots que les gondoliers de Venise et les pêcheurs des lagunes, race timide et peu nombreuse, sur le concours isolé de laquelle il serait impossible de fonder une marine militaire de quelque valeur.

Strabon remarquait que la côte d’Illyrie et les îles adjacentes présentent de tous côtés de bons ports, qu’au contraire la côte opposée d’Italie en est dépourvue, et pendant la guerre civile dans la-