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ritimes réunies sous son sceptre. D’un autre côté, les victoires du prince Eugène sur les Turcs lui donnaient sur la Porte-Ottomane un ascendant dont le résultat le plus naturel et le plus utile devait être l’établissement d’un commerce fructueux entre les états héréditaires d’une part et de l’autre l’Archipel, l’Egypte, Constantinople et la Mer-Noire. Avec tant de motifs et tant de moyens d’entreprendre, il était impossible qu’un gouvernement puissant résistât à ses intérêts les plus pressans, les plus légitimes, et s’arrêtât devant un aussi méprisable obstacle que la prétendue souveraineté de la république de Venise sur les eaux de l’Adriatique. L’Autriche se sentait faite pour devenir puissance maritime; elle entrevoyait sans doute l’élargissement futur de l’accès de ses possessions sur la mer, et pour apprécier le moyen d’atteindre ce but, l’empereur Charles VI parcourut en 1728 les provinces méridionales de l’empire. — Voici en quels termes un chroniqueur contemporain, qui recevait à Paris des communications du département des affaires étrangères[1], s’exprimait sur ce voyage :


« l’empereur arriva à Trieste le 9 septembre; MM. Cornaro et Pierre Capello, qui s’y étaient rendus en qualité d’ambassadeurs extraordinaires de la république de Venise, y firent leur entrée publique le lendemain; le 11, ils eurent audience de l’empereur, et après une seconde audience ils en partirent le 14 avec une suite de plus de deux cents gentilshommes qui leur avaient fait cortège. L’empereur était parti dès le 13 pour Fiume, mais il ne s’y arrêta qu’autant qu’il le fallait pour s’assurer de la vérité de ce qu’on lui avait dit de ce port : il reprit ensuite le chemin de Gratz.

« Sa majesté impériale a fait ce voyage principalement pour connaître par elle-même l’état des pays de sa domination entre Vienne et Trieste, afin d’y établir solidement un commerce avantageux à ses sujets. Il y a depuis quelque temps à Vienne une compagnie orientale qui tire les marchandises du Levant par la Mer-Noire : on a trouvé qu’elles coûtaient moins par cette voie qu’en les achetant des négocians de Hollande ou de la Mer-Baltique qui vont dans les échelles du Levant. Cependant ce commerce a paru sujet à plusieurs inconvéniens, car, outre qu’il faut remonter le Danube, qui est une rivière très dangereuse, on y est exposé aux avanies des Turcs, gens sur la bonne foi desquels on ne doit pas trop compter, et qui depuis peu se sont avisés d’établir de nouveaux péages en divers endroits. Ces raisons, jointes à la nécessité qu’il y a d’ouvrir une communication facile entre les pays héréditaires de la maison d’Autriche, afin que le commerce y puisse fleurir, ont fait penser qu’il vaudrait beaucoup mieux faire venir les marchandises du Levant à Trieste et à Fiume, si de là on trouvait un moyen de les distribuer dans les provinces voisines : les productions de ces provinces pourraient en même temps être mises dans le commerce, et celles qu’on y retiendrait seraient employées avec le temps en des manufactures qui enrichiraient les habitans.

  1. La Clef des cabinets des princes, journal historique sur les matières du temps, petit in-12, Paris 1728, t. XXIV.