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opérations magnétiques, à leurs prédications. Les objets ordinaires des prophéties dont ces illuminés se faisaient les interprètes, c’étaient les terribles nouveautés qu’on pouvait si facilement prédire à la France, ou bien, pendant la visite de Reuterholm, les changemens qu’on pouvait désirer dans les affaires de Suède. Des expressions mystérieuses et vagues tendant à glorifier le duc de Sudermanie, dévoué partisan de la secte, et à flétrir Gustave III, roi sacrilège et rejeté du Seigneur, puis des allusions transparentes à des complots et à des violences imaginaires, de dangereuses suggestions, de perfides réticences, parfois enfin l’annonce d’un coup subit devant anéantir Gustave III et transporter sa couronne sur la tête de son frère, tels étaient les termes ordinaires de prédictions qui, dépouillées de leur mystique attirail, ressemblaient fort à des excitations coupables et factieuses.

C’était avec de tels hommes que l’ambassadeur de Suède à Paris avait eu le tort de se lier intimement. Il entretenait avec Reuterholm les relations les plus étroites; il lui offrait à Paris une constante hospitalité, il était son correspondant et son intermédiaire assidu; il était enfin, lui aussi, un des initiés de l’illuminisme maçonnique[1].

  1. Rien de plus bizarre que les lettres du diplomate devenu sectaire :
    « Mon tendre ami, écrit-il de Paris, 12 janvier 1790, à Reuterholm lui-même, que Dieu vous donne autant de biens que je vous en désire, avec la force nécessaire pour accomplir en toute chose la volonté du Très-Haut. Je remercie Dieu de toutes les lumières que vous avez reçues, de la force et de la tendresse d’âme, de l’abnégation complète, de toutes les vertus enfin que Dieu seul vous a données, et qu’il accroît chaque jour dans votre cœur. Soyez humble, ô mon tendre ami, et priez sans cesse pour rester humble, puisque par nous-mêmes nous ne le saurions être. Depuis votre départ, j’ai bien souffert. Si je savais porter ma croix en ce monde, si le vieil homme ne renaissait toujours en moi, si je me livrais tout entier entre les mains de Dieu, dont la puissance et la bonté sont infinies, mon sort deviendrait plus supportable. Quand je songe à tout le mal que j’ai fait, à tout le bien que j’ai négligé, je sens que j’ai mérité mille maux encore outre les miens; mais quand d’autre part je pense à ma faiblesse, je m’effraie et je m’aperçois qu’il ne me reste qu’à prier et qu’à attendre l’accomplissement de ce qui est écrit... »
    Quant aux mystérieuses et coupables prédictions des sectaires suédois, je lis dans une lettre de Reuterholm au duc Charles :
    « Bien qu’on puisse être tenté de révoquer en doute l’accomplissement de ce qui a été annoncé concernant celui qui doit se garder du mois de septembre, cependant il est sûr que son temps est passé; mais ce qui reste à accomplir est horrible et pire que tout ce que nous avons vu. »