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Sans partager les visions auxquelles son mari avait eu le tort de s’associer, Mme de Staël n’avait pas voulu se séparer politiquement de son mari ni de son père, et sa plume ardente avait traduit les sentimens qui agitaient son cœur. Aussi les deux lettres qui achèvent sa correspondance avec Gustave III ne sont-elles plus des bulletin de nouvelles. Il ne s’agit plus pour elle d’enregistrer les plaisirs de la cour, les anecdotes et les bons mots. Il faut courir à la défense des grands principes où le salut du pays, où l’avenir du monde lui-même est engagé. Il faut les protéger contre leurs ennemis déclarés, et aussi contre les amis faux ou aveugles qui veulent en tirer d’effroyables conséquences. D’ailleurs c’est un père, un père adoré que Mme de Staël voit en péril, et le souverain sur qui elle peut espérer qu’elle aura de l’ascendant est précisément celui qui peut susciter le plus grand danger. Apologie de la conduite de M. Necker, apologie de celle de M. de Staël, de la sienne propre, et indirectement par là apologie des principes généraux, non pas des excès de la révolution, voilà le sujet des deux dernières lettres écrites par Mme de Staël ambassadrice.


« Sire,

« Votre majesté daignera-t-elle reconnaître les hommages d’une personne que tant d’événemens malheureux, glorieux, incroyables, ont agitée depuis si longtemps? Je me demande si mille ans se sont écoulés depuis un an, depuis un mois, depuis quinze jours, et, si je ne retrouvais pas et Gustave et sa gloire, je croirais vivre dans un autre monde. Votre majesté aura été instruite de tous les événemens, mais je doute encore du jugement qu’elle en aura porté. Je l’adopterais, je m’y soumettrais, si elle en avait été le témoin; mais qui peut apercevoir de loin les petites causes et les grands effets? Que n’est pas tenté d’expliquer par des raisons imposantes des événemens si terribles? Cependant moi qui les ai tous suivis, moi qui voyais ce que j’ai de plus cher au monde au gouvernail pendant la tempête, il m’est démontré qu’une intrigue de cour, soutenant les prétentions exagérées de la noblesse, qui voyait tout le royaume dans Versailles et pensait qu’on détruisait la force du peuple en renversant dans M. Necker son plus fidèle défenseur, une intrigue, dis-je, menée par M. Le comte d’Artois, a tout fait. On a lié dans l’esprit du roi sa cause avec celle de la noblesse. Vainement l’exemple récent de la Suède, où votre majesté n’avait trouvé d’obstacles que dans ce premier ordre de son royaume, vainement la raison disait qu’il fallait fonder la puissance du roi sur sa popularité; vainement mon père dans le conseil ne cessait de répéter que derrière les six cents représentans des communes l’on devait voir des milliers d’hommes prêts à s’armer : l’on traitait avec hauteur ce qu’il fallait considérer avec sagesse, et le départ de mon père, le rassemblement des troupes, la nomination d’un ministère odieux, donnèrent un signal terrible d’un bout du royaume à l’autre. Je ne crois pas à cette conjuration dont on nous entretient sans cesse, à ce bombardement de Paris, à