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il tirait des mouettes ou des cormorans; s’il n’en avait pas, il allumait un cigare et regardait les vagues. Le bruit de la mer lui faisait oublier l’Opéra. Souvent il montait en bateau et s’essayait à manier, comme autrefois, la voile et l’aviron. Quelques-uns des pêcheurs avec lesquels il avait fait ses premières excursions dans la haute mer étaient alors mariés et pères d’une demi-douzaine de marmots. Il avait renouvelé connaissance avec eux, et s’amusait à tendre des lignes de fond comme au temps où il était écolier. Quand son domestique le voyait revenir tout trempé par une bourrasque, il croyait de bonne foi que son maître était devenu fou. — Eh ! Baptiste, disait Pierre, jette une bourrée au feu et va chercher une bouteille de vin vieux... Le curé dîne avec moi.

Toutes les lettres que Pierre recevait de Paris étaient systématiquement empilées sur un coin de la cheminée, et jamais il n’en ouvrait aucune, quelle qu’en fût d’ailleurs l’écriture. Il craignait trop d’y trouver quelque chose qui l’aurait engagé à retourner à Paris. Les enveloppes les plus fines et la cire la plus parfumée ne pouvaient rien contre cette frayeur que lui inspiraient le bois de Boulogne, le foyer de l’Opéra et les boulevards. Pierre ne savait pas s’il était heureux à Dives, mais tout au moins savait-il qu’il ne s’ennuyait plus.

Le marquis de Grisolle, qui habitait un vaste château du côté de Caen, fut bientôt informé de l’arrivée de M. de Villerglé à la Capucine. Il le pressa de venir passer quelques jours chez lui, et il mit tant d’insistance dans son invitation, que Pierre dut céder. La présence d’un jeune homme qui a fait une certaine figure à Paris ne manque jamais de produire une véritable sensation dans une ville de province. Pierre, qu’on savait en outre maître d’une fortune bien assise au soleil, excita partout un vif sentiment de curiosité. M. de Grisolle donna quelques grands dîners à cette occasion, et ses salons furent pleins. Pierre fut l’objet d’un empressement dont les témoignages excessifs l’offusquèrent un peu. Quelques dames qui avaient des filles à marier déclarèrent qu’il était tout à fait charmant, et les invitations ne lui manquèrent pas. Il en accepta d’abord deux ou trois; mais quand il vit que de dîners en dîners et de visites en visites son oncle le condamnait à faire le tour du département, il prétexta une affaire urgente, et prit la fuite. Il n’avait pas quitté Paris pour devenir le lion du Calvados. Cette fuite soudaine diminua les éloges dont le concert s’élevait autour de lui, et la critique se réveilla.

Pierre n’avait pas de parti bien arrêté. Les premiers froids venaient de se faire sentir, et il était poursuivi dans sa retraite par les lettres de son oncle, qui s’était mis en tête de lui faire épouser une