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infirmités l’avaient obligé de renoncer à son emploi, il disait qu’il avait fui la corruption des villes pour cultiver en paix dans la campagne les belles-lettres et la vertu. Il affectait un langage austère dont le tour et les maximes trahissaient un homme habitué à faire de Tacite et de Sénèque sa lecture favorite. En sa qualité de républicain, il méprisait les richesses et grondait sa servante pour un peu de crème répandue. Au fond, c’était un bon homme qui ne vivait que pour sa fille. La première glace rompue et le maître de la Capucine ayant rendu aux hôtes du Buisson le dîner qu’il en avait reçu, le vieux professeur ouvrit à Pierre sa porte à deux battans, et ne put résister au plaisir de dire en parlant de lui : — C’est mon élève, le comte de Villerglé!..

Vers le milieu du mois de janvier, Baptiste acquit la certitude que son maître ne quitterait pas de si tôt la Normandie. On meubla la Capucine, dont les réparations étaient terminées, et Pierre fit venir deux voitures de Paris. Dominique était à son service. Le lendemain de sa conversation avec Louise, il avait fait venir le petit gars, qui n’avait point bronché en sa présence, il tortillait son bonnet de laine entre ses doigts et riait à demi en regardant son parrain d’un air déterminé.

— Çà, parrain, lui dit Dominique, je m’attendais bien à ce que vous me feriez appeler, mais si c’est pour me faire des sermons, foi de Normand, c’est inutile.

— Il faut pourtant que ça finisse, répondit M. de Villerglé.

— Je n’en sais rien... c’est plus fort que moi... Quand je vois une bête, je cours dessus... Si j’avais ma tête au bout du bras, je crois bien qu’elle partirait comme une pierre.

Cet air de résolution et cette franchise ne déplurent pas à M. de Villerglé. La mine éveillée de ce braconnier imberbe lui revenait aussi. — Écoute, dit-il à Dominique, si tu me promets de te bien conduire et de ne plus tendre de collets, je te donnerai un fusil. Tu te promèneras çà et là dans mes terres; si tu rencontres des lapins, je ne te défends pas de les tuer, et à vingt ans tu seras garde.

Les yeux de Dominique brillèrent. — Un fusil à deux coups? dit-il.

— Oui.

— Dame! parrain, ne plus braconner, c’est dur; c’est un fameux plaisir, allez, que d’attendre le passage d’un lièvre quand il sort du bois, de tendre un piège dans la coulée et de voir au petit jour si la bête est prise. Le cœur vous bat drôlement…… On a un œil sur le collet et un œil dans la plaine pour voir si le garde ne vient pas... Mais puisque vous y tenez et que vous êtes mon parrain, eh bien ! soit, j’y consens.

Pierre vit bien, à la quantité extraordinaire de lapins qu’on ap-