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au hasard quelques-unes et s’étonnait qu’on pût s’intéresser aux débuts d’une danseuse nouvelle et aux luttes de quatre chevaux anglais courant sur une pelouse.

Lorsque la convalescence du père Morand fut en bonne voie, Pierre et Louise recommencèrent leurs promenades. Un matin qu’ils suivaient un sentier dans la vallée de Beuzeval, M. de Villerglé demanda à Louise si elle était toujours décidée à se marier.

— Décidée? répondit Louise, est-ce qu’on sait? Encore faut-il bien être deux, pour que la chose soit possible,

— Eh bien ! commère, le mari est trouvé, c’est moi.

Louise regarda Pierre et se mit à rire.

— Ce n’est pas sérieux, ce que vous me dites là! reprit-elle.

— Mais si!... c’est très sérieux... Si vous m’acceptez, pardine! vous serez ma femme dans huit jours.

— Comme vous y allez... Vous m’aimez donc?

— Apparemment.

— Mais, compère, vous ne m’en avez jamais rien dit.

— Il fallait bien attendre que ce fût venu pour vous en parler.

— C’est tout de même singulier, reprit Louise, une fille comme moi et un monsieur comme vous.

— Ce monsieur trouve le pays charmant, et de grand cœur il y passera sa vie avec vous. Est-ce dit? J’ai juré de ne plus remettre les pieds dans Paris... Vous êtes d’une humeur qui me plaît, et je suis fait aux manières du bonhomme Morand. Si ça vous va, donnez-moi la main.

— Dame ! répondit Louise, la chose pourrait certainement s’arranger;... mais il y a Roger.

— Quel Roger ?

— Un beau garçon qui m’aimait beaucoup et à qui je le rendais un peu... Il est parti.

— Ah! et où est-il?

— Si loin, que ce n’est pas lui qui dansera à la noce ! Ce Roger, — un beau et brave garçon, soit dit sans vous fâcher, compère, — était capitaine au long cours. Le premier navire qu’il a commandé a péri, le second tout de même. C’est en Amérique qu’il a fait naufrage.

— Bon ! il est mort.

— Pauvre Roger! que c’est méchant!... Les dernières nouvelles que nous en avons eues étaient datées de La Havane. Depuis lors il ne nous a plus écrit. Je crois bien qu’il m’a oubliée.

— Et vous? reprit Pierre d’une voix un peu tremblante, y pensez-vous toujours, et ne vous consolerez-vous pas de l’avoir perdu?

— J’y pense comme à un ami qu’on regrette de ne plus voir. Quant à ne jamais me consoler, c’est beaucoup dire.