qui sait gouverner son peuple sans l’asservir, qui le contient par son pouvoir et l’anime par son exemple, ne perde rien de son éclat, et, faisant aimer encore une constitution légalement monarchique, conserve dans l’Europe une forme de gouvernement qui depuis si longtemps maintient la paix dans les grands empires.
« Il me reste à rendre compte à votre majesté de ma conduite personnelle. J’ai obtenu, j’ai exigé de M. de Staël qu’il fût absent pendant dix jours pour accompagner mon père dans un moment où sa vie, sa liberté du moins pouvait être exposée, car la rage de ses successeurs croissait en proportion des regrets que la France lui témoignait. J’ai osé être sûre que votre majesté m’approuverait. C’est avec respect, mais non avec inquiétude que je lui soumets la conduite de M. de Staël. Je supplie votre majesté de continuer à le traiter avec bonté; notre sort à tous les deux dépend d’elle; personne n’aura plus de zèle que M. de Staël pour ses intérêts, personne dans ce moment-ci n’a autant de moyens pour exécuter ses ordres, personne dans tous les temps n’en éprouvera plus le désir. Je serais heureuse si votre majesté daignait avoir un sentiment particulier de bienveillance pour moi. Quelquefois je me le persuade, sans avoir d’autres raisons, d’autres droits pour l’espérer que l’attachement profond et l’admiration vraie dont je suis pénétrée pour elle. Je suis avec respect, etc.
« NECKER, baronne de STAËL.
« Le 16 août 1789. »
La dernière lettre fait mesurer plus clairement encore la distance qui séparait dorénavant Mme de Staël elle-même de Gustave III, et qui rendait la correspondance toujours plus réservée et plus rare :
« Sire,
« C’est avec un profond sentiment de timidité que j’ose vous écrire. Le respect et l’admiration que votre majesté m’inspire ont dû toujours me faire éprouver ce mouvement; mais il est causé pour la première fois par une crainte pénible. J’ai passé depuis un an huit mois en Suisse, et cependant j’apprends à mon retour que pendant le séjour de votre majesté à Aix-la-Chapelle ou a cherché à l’occuper de toutes les misérables calomnies, fruits des loisirs de l’esprit de parti. Sans doute le nom de mon père devait attirer sur moi l’attention de la haine, mais j’espérais aussi que ce nom en éloignerait le soupçon d’approuver les injustices et les atrocités dont on est témoin en France depuis quelque temps, et de voir sans l’émotion la plus vive et l’intérêt le plus actif la situation du roi et de la reine, dont le malheur, tout-puissant sur les âmes généreuses, reçoit un nouvel effet par le contraste de leur première destinée. Il est vrai que j’ai partagé l’espérance de mon père à l’ouverture des états-généraux. L’on devait peut-être se flatter à cette époque qu’il résulterait de leurs lumières et des excellentes intentions du roi une constitution libre et heureuse. L’ivresse fanatique de la nation a éloigné ce terme; mais pourquoi le parti des opprimés ne pardonne-t-il pas à ceux qui ont espéré? Pourquoi veut-il avoir tout prévu, parce qu’il a tout craint. Pourquoi fait-il un crime d’une confiance qui devait naître alors de tous les bons sentimens de l’âme? Témoin des persécutions que mon père a