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une espièglerie dont on peut se vanter entre initiés, mais qu’il n’est pas sage de confier aux profanes. Dire à toute une génération, aujourd’hui parvenue à la virilité : « Ce que vous avez pris pour une émotion vraie n’était qu’un jeu d’esprit; j’ai assemblé en strophes harmonieuses des paroles qui n’avaient pour moi qu’une valeur musicale, » en vérité, c’est pousser trop loin le dédain de ses lecteurs. Après un pareil aveu, l’auteur aurait mauvaise grâce à dire que la critique le traite avec irrévérence. Parmi les juges les plus sceptiques, jamais un seul n’eût songé à porter contre M. de Lamartine une telle accusation. Chacun prenait les premières méditations poétiques pour des pages empreintes d’une émotion réelle, et voici que M. de Lamartine vient nous détromper. Nous étions dupes de son habileté. J’ai besoin de croire que toutes les pièces de son premier recueil n’ont pas été composées dans les mêmes conditions que l’ode adressée à M. de Bonald. Si des aveux du même genre venaient à se multiplier, la poésie ne serait plus une œuvre d’imagination, mais une œuvre de mensonge. En relisant cette confession renouvelée, dont l’auteur du Cours familier de littérature pouvait très bien se dispenser, je me suis demandé quel motif le poussait à cette cruelle .franchise, cruelle pour lui-même, bien entendu, et je n’ai pas réussi à le deviner. Est-ce humilité, repentir, ou bien est-ce un caprice de vanité? A-t-il cru qu’en nous contant cette supercherie, il nous donnerait une preuve éclatante de sa supériorité? Quelle que soit la vraie cause de sa conduite, je pense qu’il s’est fourvoyé. Orgueil ou repentir, peu importe : il valait mieux nous laisser notre croyance. Puisqu’il avait célébré en vers harmonieux la Législation primitive, il devait respecter notre confiance comme une partie de sa gloire. Nous aurions pardonné au poète d’avoir pris dans sa jeunesse un sophiste pour un philosophe, quoique en 1820 il fût en âge de se renseigner. Quand nous le voyons, trente-six ans plus tard, donner son enthousiasme comme une niche ingénieuse qu’il s’est plu à nous jouer, et parler pourtant de la Législation primitive en homme qui ne la connaît guère, notre étonnement se change en dépit. En appliquant les doctrines de M. de Bonald, nous n’aurions pas un gouvernement dont les ministres seraient nommés par Dieu! Je crois bien que M. de Lamartine, aujourd’hui comme en 1820, en parle sur ouï-dire.

A propos de l’ode adressée à M. de Lamennais, l’auteur des Méditations poétiques ne confesse aucune supercherie. Nous devrions penser qu’il parle pertinemment de l’Essai sur l’Indifférence. Cependant le doute s’éveille en nous quand nous lisons dans le Cours familier de littérature que depuis Jean-Jacques Rousseau jusqu’à l’auteur d’Indiana jamais style pareil ne s’était vu. La parenté lit-